Par la Rédaction
C’est une liste ouverte, sans doute promise à l’allongement. À l’heure où nous mettons ce texte en ligne, elle compte 250 noms. À l’importance de l’effectif s’ajoutent deux impressions d’ensemble, destinées à édifier le lecteur – qui a pris connaissance de sa version française dans L’Obs – , sinon à l’intimider : les signataires sont disséminés à travers le monde et nombre d’entre eux officient dans de prestigieux établissements universitaires. De Los Angeles à Sidney, de Copenhague à Johannesburg, en passant par New York, Rome, Rabat, Tunis, Bombay, Yogjakarta ou encore Toronto, la pétition a circulé au sein d’une mouvance décoloniale qui s’est organisée depuis des années en réseaux, et bénéficie à ce titre de multiples relais, à la croisée des champs académique et militant.
France partout, France nulle part
Les intentions sont limpides : dresser le tableau sinistre d’une France étroitement hexagonale, persistant néanmoins dans ses visées coloniales en abusant d’un universalisme trompeur, catégoriquement réfractaire au souffle épistémologique, révolutionnaire et émancipateur, qui balaierait aujourd’hui les campus du monde entier.
Les noms se succèdent, d’hommes et de femmes spécialisés en littérature comparée, en arts et en religion, en genre et en études féminines. Ils sont sociologues, anthropologues, juristes, parfois historiens. Ils s’intéressent à l’Afrique, à l’Amérique latine, au monde musulman mais explorent surtout les survivances coloniales, impérialistes, dans les sociétés contemporaines.
Quant aux connaisseurs de la France, de son histoire politique, sociale et culturelle, ils n’encombrent pas leurs rangs. La distance à la France, à son actualité, aux débats sur la laïcité – qui les préoccupe tant –, est patente. Quel spécialiste, quel connaisseur éclairé de ses réalités accepterait d’ailleurs de s’afficher au bas d’un texte pétri de partis pris idéologiques et d’approximations douteuses ?
Des écosystèmes privilégiés
Reste à apprécier l’effet de séduction opéré par un tel discours sur un milieu universitaire international, prompt à se mettre en branle dès qu’il s’agit de brocarder notre pays et la rhétorique républicaine. Il faut croire à ce titre que le militantisme est capable d’altérer le discernement de celles et ceux qui, souhaitons-le, manifestent davantage de hauteur de vue, lorsqu’ils ou elles professent à Yale, Columbia, Harvard, Berkeley ou Stanford. Ils sont ainsi, dans la liste des signataires, une trentaine à travailler au sein de ces établissements qui figurent parmi les dix premiers du classement international de Shanghai (2020). La liste est longue, au-delà, de ces grandes universités, privées ou publiques, américaines pour la moitié d’entre elles, mais aussi britanniques et canadiennes, qui constituent ces écosystèmes privilégiés où se forgent les outils conceptuels d’un projet décolonial à prétention hégémonique.
Il faut signaler l’hétérogénéité qui s’exprime par ailleurs à travers quelques signatures éparses : « activiste », « écologiste », « écrivain », « poète », « éditeur »… jusqu’à la présence inattendue – mais symptomatique – de Roger Waters, membre fondateur des Pink Floyd et soutien connu de BDS. La grande majorité des signataires fait toutefois valoir des statuts académiques parmi lesquels le grade de « professor » est largement représenté.
Il est probablement attendu de cette pluie de titres et de l’architecture d’ensemble le discrédit et l’opprobre pour une large part des élites françaises, politiques, culturelles et universitaires. La perspective pourrait toutefois être inversée, à juger le contraste entre le surplomb adopté et la valeur intrinsèque du texte.
Il est à craindre malgré tout que l’esbroufe et la poudre aux yeux, en bande organisée, soient de nature à renforcer l’attrait des thèses décoloniales dans l’université française – et au-delà : elles nourrissent chez les intéressés la satisfaction d’une rupture épistémologique et paradigmatique, le sentiment d’une posture intellectuelle justicière, et celui, aussi, d’appartenir à une école de « pensée » visionnaire et révolutionnaire. On aurait tort, en tout cas, de prendre à la légère cette offensive « de luxe » qui avance sous les traits de la victimisation.
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