Fayçal jelil, archiviste des vies décentes
Je m’appelle Fayçal, « le juge », en Arabe, la langue de mes parents marocains, arrivés en France dans les années 1970. Je vous rassure, je ne juge personne.
Fiers de leurs racines méditerranéennes, ils ont tout fait pour que leurs enfants soient également fiers de leur avenir républicain. Ils ne cessaient de nous répéter de bien nous comporter en public et d’apporter de l’aide aux gens. Lorsque je me rendais à l’école, ou que je sortais, mon père avait cette formidable réplique : « Attention, je te préviens ! ». L’enfant naïf que j’étais lui répondait : « Attention, oui, mais à quoi ? » L’adulte que je suis devenu a compris que ce « Attention ! » n’était autre chose que l’ « attention » que tout citoyen doit porter aux valeurs de la République, valeurs transmises essentiellement par l’école publique, en laquelle mes parents ont toujours cru. Selon eux, le seul moyen de devenir quelqu’un passait par les études, la formation ou l’apprentissage d’un métier.
La valeur des trajectoires individuelles
J’ai grandi dans ce triptyque : le comportement, l’École et les gens.
Quand je me rendais à l’université, je discutais avec les gens pour ne pas m’ennuyer pendant le trajet. Avec bienveillance, respect et pudeur, ils se découvraient à moi et je découvrais leurs parcours plus ou moins sinueux. J’étais émerveillé par ces trajectoires de vie et peu importait le métier, le statut social, le secteur d’activité de mon interlocuteur. Je me souviens d’un ouvrier dans le bâtiment qui m’avait expliqué comment bâtir un mur. Je fus surpris par la somme des connaissances et des compétences nécessaires à sa construction : mathématiques, géométrie, géotechnique ! Cette rencontre avait été une leçon. Désormais, je ne me moquerai plus des métiers manuels et des voies professionnelles empruntées par mes amis.
Paradoxalement, cette attirance pour les gens refit surface pendant le confinement. Nous applaudissions au balcon les personnels de santé, nous regardions les éboueurs, les livreurs, les caissiers, hommes et femmes, traverser la rue pour continuer à servir le pays pendant qu’une partie d’entre nous était assignée à résidence. La pandémie de la Covid avait caché une population d’actifs et mis en lumière une autre population de travailleurs, jusqu’alors invisibles. Ces « salariés du back office », selon l’expression du philosophe politique Denis Maillard, sortaient des coulisses de la reconnaissance et occupaient, courageux, les scènes désertées par ceux qui avaient la possibilité de faire du télétravail. Ces travailleurs « essentiels » étaient enfin devenus visibles et leurs activités, nécessaires à la survie du pays, étaient enfin reconnues à leur juste valeur.
La crise sanitaire avait fait revenir au centre des préoccupations des Français la question de notre rapport au travail. J’ai voulu apporter ma pierre à la construction de cette nouvelle réflexion et retrouver ce que j’aimais tant faire : aller à la rencontre de l’autre dans des lieux de la vie quotidienne. En mettant en avant, sur X (ex-Twitter), des parcours de vie professionnelle jusqu’ici restés dans l’ombre, j’espère continuer ce qui avait débuté pendant le confinement : valoriser les invisibles. J’arpente donc les villes pour inventer une sorte de « réalité-photo ». Mes clichés et mes vidéos, je les veux bruts, sincères, naturels. Les passants et passantes que j’aborde m’acceptent tel que je suis et je les écoute, tels qu’ils sont. Jamais je ne ressens de rejet ; jamais je ne subis une quelconque discrimination. C’est ensemble que nous honorons cette valeur fondamentale de notre pacte républicain et social : la Fraternité.
Renouer avec l’indivisibilité sociale
De toutes ces discussions, une conclusion émerge : les gens ne se sentent pas assez reconnus. Ils n’attendent pas les aides de l’État, ne sont pas fainéants, font avec ce qu’ils possèdent et avec ce qu’ils connaissent. La majorité des gens aiment leur travail et en sont fiers. Je me souviens de cette technicienne de surface qui m’avait repris en me disant « je ne vous permets pas de dire que mon travail est ingrat. Moi, je veux que les gens se sentent comme chez moi. » Un sentiment de honte m’avait envahi. Je ne recommencerai plus.
Avec ma « gueule d’Arabe », je n’ai jamais ressenti un quelconque racisme. Ces gens font des vidéos et des selfies avec moi en souriant fièrement et en me remerciant de les avoir écoutés et respectés pour ce qu’ils sont. J’aime la France, j’aime les citoyens, j’aime les gens et je crois que l’indivisibilité de notre société, chère à notre modèle de société, est d’abord une question d’intention personnelle. Le « Faire Nation » ne peut se construire qu’en allant vers l’autre, qu’en l’abordant, spontanément et avec empathie.
Je vous aime.
(Suivre Fayçal Jelil sur X)