Marika Bret, chargée de la transmission de la mémoire de Charb, responsable de l’environnement travail de Charlie Hebdo, chroniqueuse à Clara Magazine-Femmes solidaires.
Dès le 16 octobre 2020, jour de la décapitation de Samuel Paty, en plein procès des attentats islamistes des 7, 8 et 9 janvier 2015, de nombreuses réactions condamnent l’horreur de cet assassinat.
Le 18 octobre, un rassemblement réunit quelques centaines de personnes, place de la République, à Paris. Avec ce slogan difficilement contestable : « Soutien aux enseignants, pour la liberté, contre la terreur ! »
Le 21 octobre, le ban et l’arrière-ban des personnalités politiques assistent à la cérémonie d’hommage national dans la cour d’honneur de l’université de la Sorbonne.
Lundi 2 novembre, jour de la rentrée scolaire après les vacances de la Toussaint, une minute de silence est observée et la lettre aux instituteurs de Jean Jaurès est lue – raccourcie – dans les écoles de la République.
Une unanimité de façade qui va vite se fissurer. Comme en 2015.
Le 20 octobre, des dessins parus dans Charlie, dont des caricatures du Prophète, sont projetés sur les façades des deux hôtels de région de l’Occitanie, à Toulouse et Montpellier. Une décision prise et assumée par la présidente du conseil régional, Carole Delga : « Dans notre République, il ne peut y avoir d’arrangement avec la laïcité, la liberté d’expression et la liberté de conscience qui sont au cœur de notre modèle républicain. Il ne doit y avoir aucune faiblesse face aux ennemis de la démocratie, face à ceux qui dévoient la religion pour la transformer en arme de guerre, face à ceux qui frayent, par calculs ou renoncements, avec celles et ceux qui ont l’objectif politique de détruire la République. »
Cette initiative est vivement contestée, elle sera au mieux qualifiée d’inutile provocation.
Dans une tribune publiée le 3 novembre dans Le Monde, Olivier Mongin et Jean-Louis Schlegel, anciens directeurs de la revue Esprit, écrivent : « La volonté de nombreux responsables politiques d’“exhiber les caricatures ” de Mahomet relève d’une opération démagogique, oubliant qu’une partie immense du monde se sent profondément outragée. » Et d’accuser dans la foulée la France de vouloir « imposer par la force son universalisme républicain ».
La force contestable n’est donc pas celle des porteurs de kalachnikov, couteaux ou hachoirs ?
Le 30 octobre 2020, dans La Vie des idées, prestigieuse revue du Collège de France, le sociologue François Héran s’adresse aux professeurs d’histoire et de géographie et leur propose de réfléchir à une liberté d’expression « plus respectueuse des croyances ».
Et de confirmer, le 9 avril 2021, dans une interview au Monde : « La liberté d’expression tend aujourd’hui à étouffer ou absorber la liberté de croyance. »
In fine, comme pour la laïcité, il adjective : liberté « offensive » ou « tolérante » ?
Solliciter une plus grande compréhension auprès d’un enseignant qui, à partir de connaissances, ouvre grand la porte à la discussion, la réflexion, l’humour ?
Alain Brossat, professeur de philosophie retraité, refuse d’apparaître « dans le diagramme de cette correction morale qui est le ciment de toutes les unions sacrée » et de se voir ainsi « assigner [sa] place dans le troupeau ».
Dans un texte publié le 3 novembre 2020 intitulé « Un long hiver républicain », ce penseur de la Ligue communiste révolutionnaire présente Samuel Paty comme « un pompier pyromane », « un peu formaté comme tant de ses collègues par les consignes tombées du ciel ». Quant à la liberté d’expression, elle n’est pas pour lui un principe fondamental de toute démocratie, mais un « thème impulsé par les sommets de l’État ».
Il faut donc comprendre qu’ayant contribué à l’« enraciner dans la pâte molle des jeunes cervelles », Samuel Paty l’a bien cherché.
Nous sommes d’accord : Samuel Paty n’a pas fait semblant. Comme tant d’enseignants qui se sentent parfois si seuls, il regardait ses élèves en face pour transmettre la matière du savoir. La matière de la démocratie, intellectuellement solide, passionnément culturelle. Et qui supporte sans difficulté l’exercice de la contradiction. Un exercice qui se disqualifie quand il renvoie dos à dos le bourreau et le décapité, la tolérance et l’intolérable, le respect statufié et le dérangement occasionné par l’expression d’idées.
Samuel Paty n’a pas triché. N’a pas usé de raccourcis, ni d’arguties. Il a montré ce que d’autres continuent à vouloir planquer. Une exigence devenue chimérique à l’heure de la circulation effrénée d’infos et d’infox sur les réseaux sociaux, sans explication ni contextualisation. Des réseaux sociaux particulièrement prisés par la jeunesse.
Samuel Paty a offensé des âmes perturbées par un simple dessin. Comme en 2015.
Alors, oui, rendons hommage à Samuel Paty, professeur qui n’était ni imprévisible, ni lâche, ni cynique. Bel et bien exemplaire.