Tribune d’Alain Barbanel, journaliste
Tout d’abord, un rappel historique, sans avoir besoin de remonter trop loin. Comme en génétique, la politique n’échappe pas à son ADN. Derrière le nouveau portrait lisse et apaisant d’une candidate devenue, sur les panneaux électoraux, un prénom sympathique et fédérateur, n’oublions pas le nom : Le Pen. « Marine » est bien la fille de Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national, qui, entre autres, soutenait la torture pratiquée pendant la guerre d’Algérie ; pestait contre l’abolition de la peine de mort dont il disait qu’elle était « le seul moyen de lutter contre la récidive » ; considérait que « le sidaïque […] est contagieux par sa transpiration, ses larmes, sa salive, son contact. C’est une espèce de lépreux » (6 mai 1987) ; calembourait sur « Monsieur Durafour-crématoire » (2 septembre 1988) ; se justifiait : « Mon personnel de maison est noir, mon cuisinier est noir […] que faut-il que je fasse ? Que je me marie avec un noir, homosexuel et sidaïque ? » (21 avril 2002, sur M6) ; affirmait : « Je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé. Je n’ai pas pu moi-même en voir. Je n’ai pas étudié spécialement la question. Mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale » (RTL, 13 septembre 1987) ; menaçait : « Je vais te faire courir moi tu vas voir, rouquin… PD ! » (1997) ; prophétisait : « La Déclaration des droits de l’homme marque le début de la décadence de la France » (26 août 1989, à La Trinité-sur-Mer, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française) ; questionnait : « Le général de Gaulle était-il plus courageux que ne l’était le maréchal en zone occupée ? Ce n’est pas sûr1Interview à La Une, journal éphémère, propos rapportés le 26 avril 2002 dans Libération. Cités par Jonathan Hayoun et Judith Cohen Solal dans La main du diable (Grasset, 2019). » (1996) ; vociférait : « L’homosexualité n’est pas un délit, mais elle constitue une anomalie biologique et sociale » (13 février 1984) ; disait au sujet de l’explosion démographique dans le monde que « Monseigneur Ebola peut régler ça en trois mois » (20 mai 2014) ; soutenait encore : « Je comprends tout à fait qu’on mette en cause la démocratie, qu’on la combatte » (8 avril 2015) ; soutenait toujours : « Je n’ai jamais considéré le maréchal Pétain comme un traître » (8 avril 2015)…
Derrière la façade ripolinée, l’extrême droite pure et dure
Bien sûr, la fille n’est pas responsable de la haine du père. Le chef de parti a été très souvent poursuivi et condamné pour ses propos par des lois qu’un Éric Zemmour, VRP insatiable d’un Front national aujourd’hui ripoliné, voudrait abroger. La très présentable Marine Le Pen, qui occupa des fonctions de première importance au FN auprès de son père et entretint des liens avec l’extrême droite néonazie, a appris des échecs de celui-ci, et des siens propres. Finies les petites phrases assassines, xénophobes et homophobes, les dérapages conspirationnistes et révisionnistes du FN qu’elle a laissés au fondateur de Reconquête. Vade retro, Satana ! Le Rassemblement national se dit prêt à prendre les rênes du pouvoir. Marine Le Pen ne s’est-elle pas permis de dénoncer, en février dernier, la présence de « quelques nazis » chez les soutiens de son concurrent ?
On entend dire ici et là que les Français ressentiraient à l’égard de la démocratie une forme de lassitude. Qu’ils se souviennent que chaque jour, en Ukraine et ailleurs, des femmes et des hommes meurent pour demeurer libres et refuser la chape de plomb des dictatures.
Ne nous le leurrons pas. Si la devanture de la boutique a changé, la remise reste la même et la marchandise intacte. Bien sûr, dans son programme, Marine Le Pen reste dans les clous. Bien entendu, elle se place sous l’égide de la République. Le ton est léger, la forme « dédiabolisée » et les réformes s’appuient sur nos institutions. Si la présidente du Rassemblement national venait à être élue présidente de la République, avec un Éric Zemmour dont on peut douter qu’il resterait longtemps à l’écart, cette partisane d’une société illibérale façon Orban, admiratrice il y a encore peu de Vladimir Poutine, dont elle disait dans un entretien au Figaro le 18 mai 2014 : « Monsieur Poutine est un patriote. Il est attaché à la souveraineté de son peuple. Il a conscience que nous défendons des valeurs communes. Ce sont les valeurs de la civilisation européenne », ferait subir à notre démocratie un sinistre lifting en s’appuyant sur l’arme du référendum populaire autorisée par la constitution (article 11 grâce auquel De Gaulle avait instauré en 1962, par référendum, l’élection du président de la République au suffrage universel). Le droit d’asile, l’immigration, le statut des Français de confession musulmane, la place occupée par la France dans l’Union européenne… autant de domaines qui passeraient à la moulinette. Officiellement pas de Frexit ni de sortie de l’Euro – mesures dont elle a bien compris qu’elles effrayaient ses électeurs –, mais des « référendums d’initiative citoyenne » à répétition, pour se passer du débat parlementaire, qu’honnissent les adversaires de la démocratie représentative. En résumé, ce ne sera pas un coup d’État façon Pinochet mais le résultat sera le même : une sorte de révolution nationale à la Pétain.
Le cordon sanitaire contre le RN a encore du sens
Alors oui, il faut lire le programme de Marine le Pen dans le détail mais surtout entre les lignes. Le RN a travaillé à revêtir l’apparence d’un parti comme un autre mais n’est pas doté d’un ADN démocratique. Les pompiers pyromanes sont aujourd’hui aux portes du pouvoir et ceux qui ne font pas la différence entre le candidat Macron et la candidate Le Pen œuvrent, consciemment ou non, à l’avènement d’un projet brutal.
Oui, le cordon sanitaire autour du FN devenu RN a encore du sens pour défendre nos valeurs républicaines, laïques, démocratiques et universalistes.
Non, il ne faut pas céder au relativisme et à l’idée mortifère que toutes les idées se valent. On entend dire ici et là que les Français ressentiraient à l’égard de la démocratie une forme de lassitude. Qu’ils se souviennent que chaque jour, en Ukraine et ailleurs, des femmes et des hommes meurent pour demeurer libres et refuser la chape de plomb des dictatures. Les tenants du « Tout sauf Macron » font le jeu des extrémistes, qu’ils soient d’extrême droite ou d’extrême gauche. Ils n’auront que les yeux pour pleurer si ce pire devait advenir.
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Dossier « Faire taire la haine », consacré à la loi contre le racisme du 1er juillet 1972, dans le n° 686 printemps 2022
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