Alain Barbanel, journaliste
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C’est une petite musique qui nous vient une fois de plus d’outre-Atlantique, reprise en France par un collectif d’universitaires qui a publié dans Le Monde daté du 2 mai un texte intitulé : « L’antiwokisme est infiniment plus menaçant que ledit wokisme auquel il prétend s’attaquer ». Que dit-il ? En substance que les offensives menées contre les études de genre et postcoloniales sont organisées par l’extrême droite et de fait profondément antidémocratiques. Dans cette tribune, les auteurs s’appuient sur un colloque présidé par Jean-Michel Blanquer, organisé à la Sorbonne les 7 et 8 janvier 2022 : « Après la déconstruction : reconstruire les sciences et la culture ». Cet événement serait le point de départ des offensives menées par les détracteurs de la déconstruction. Ces derniers, selon les signataires de la tribune, n’attribueraient à cette idéologie que ces seuls objectifs : « [saper] les fondements de la civilisation occidentale » et « [menacer] l’ordre social et familial ». En oubliant au passage les excès et dérives sectaires qui ont pu inspirer cette initiative universitaire : la théorie politique obsessionnelle de la « race », l’essentialisation des origines, l’idéologisation du genre et ses outrances virant à la lutte des sexes, une certaine forme de négation de la science, de la biologie et un rejet des grands principes des Lumières et des valeurs propres à l’universalisme.
Le débat d’idées mérite mieux que des lois autoritaires
Certes, l’antiwokisme fait aujourd’hui l’objet de toutes les tentations d’instrumentalisation politique. Et le fait qu’un Éric Zemmour s’en empare ne peut qu’inciter à la prudence. Même constat aux États-Unis où les lois liberticides votées en Floride l’été dernier se font de plus en plus nombreuses. Pour preuve, son gouverneur ultra-conservateur Ron DeSantis qui, pour surenchérir vis-à-vis de son concurrent Donald Trump dans la perspective des élections l’an prochain, a promulgué dans son État une loi interdisant l’enseignement de huit concepts liés à la « race, la couleur de la peau, l’origine nationale ou le sexe » que la Floride, selon lui, considère comme contraire à ses valeurs. Soit. Méfions-nous donc des bonimenteurs en embuscade qui, au nom de tactiques électorales, utilisent la politique comme une arme de destruction massive de la liberté d’expression et des droits. Le débat d’idées mérite mieux que des lois autoritaires qui n’ont pas leur place dans un régime démocratique.
Le constat est amer. La dénaturation des faits et la désinformation sont des recours que l’on ne s’interdit plus, quels que soient les domaines, pour triompher des idées adverses. Quand il s’agit d’un collectif de professeurs de l’enseignement supérieur, il y a de quoi redouter les ténèbres de la pensée.
Mais ne jouons pas non plus à l’autruche en tombant dans le déni et en inversant, par raccourcis intellectuels, la charge de la preuve. L’idéologie woke n’est pas non plus un exemple de tolérance et de bienveillance ! Et nul ne remet en cause, comme le prétend le collectif, le travail de recherche de nos universités, pour, est-il justement rappelé, « éclairer les grandes questions de notre temps, si pressantes et si nombreuses qui peuvent être encore menées librement ; l’un des seuls lieux où l’on peut encore élaborer les outils scientifiques et conceptuels qui nous permettent de penser, pour les traiter, les maux du monde ».
Éviter les raccourcis et l’amalgame
Il en va des théories décoloniales comme des thèses historiques, philosophiques ou sociologiques. Tout ce qui relève de l’histoire des idées peut être débattu, nourri, analysé dans la confrontation des concepts, l’objectivisation des faits et le respect de l’altérité. Mais quand des réflexes d’intolérance prévalent et que les règles du débat contradictoire sont oubliées, l’anathème, l’excommunication et l’hallali ne sont jamais loin. Ces travers ne sont pas l’apanage d’un seul camp, n’en déplaise aux signataires de cette tribune, qui réduisent les critiques formulées contre la déconstruction à « un tournant réactionnaire » et à l’« instrument d’un agenda politique ». Des attaques réductrices qui rappellent les accusations d’« islamophobie » à l’encontre de ceux qui critiquent la religion, contestent la notion de blasphème ou chérissent les caricatures !
Par un étonnant tour de passe-passe, le collectif des signataires défend son argumentaire, en inversant ad nauseam le sens des valeurs et en pratiquant un relativisme douteux : « Ce n’est pas seulement l’alliance mondiale bien réelle des dictatures, de la Russie à la Chine en passant par l’Iran et l’Arabie saoudite, qui menace les démocratie occidentales… » Et de poursuivre sa démonstration : « La falsification de l’histoire, l’abolition de la culture, la mise au pas de la pensée sont en marche. Elle sont le fait non pas des opprimés et de minorités sans pouvoir médiatique ni armes lourdes qui cherchent à faire entendre leur voix, mais du nouveau fascisme qui a fait de l’antiwokisme son fer de lance ». Le mot est lâché, est fasciste et sans discernement, celle ou celui qui entend apporter un débat contradictoire, comme est raciste et islamophobe celle ou celui qui débat de l’islam. Point d’orgue de la démonstration : « C’est lui [l’antiwokisme], ne nous y trompons pas, qui menace la démocratie. » Vous l’aurez compris, bien plus que Poutine, ou les gardiens de la révolution iranienne… Fichtre !
Le constat est amer. Il faut admettre que la dénaturation des faits et la désinformation sont des recours que l’on ne s’interdit plus, quels que soient les domaines, pour triompher des idées adverses. Quand il s’agit d’un collectif de professeurs de l’enseignement supérieur, il y a de quoi redouter les ténèbres de la pensée.
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