Alain Barbanel, journaliste
Ce mercredi 19 janvier, dans l’hémicycle du Parlement européen où Emmanuel Macron prononçait son discours introduisant la présidence française de l’Union européenne, Raphaël Glucksmann a apostrophé le président de la République sur la question des Ouïghours. « Vous avez à nouveau ignoré le plus grand crime de l’humanité de notre temps, à savoir la déportation des Ouïghours dans des camps en Chine. La seule fois en quatre ans où vous avez évoqué les Ouïghours, c’était pour dire que la France seule n’y pouvait rien… » Hormis le fait que l’hémicycle européen n’est pas une plateforme de règlement de comptes personnels en période électorale, ajoutant ainsi à la cacophonie générale à gauche, le cofondateur du parti Place publique ignorait visiblement l’agenda politique du Parlement français. C’est ce qu’on appelle une bourde ! Jeudi 20 janvier, l’Assemblée nationale adoptait justement la résolution portée par le Parti socialiste sur le génocide ouïghour pour dénoncer les exactions du pouvoir chinois à l’encontre de la minorité du Xinjiang. Une proposition que la majorité présidentielle La République en marche (LREM) avait justement appelé à voter après la Belgique, les Pays-Bas, la République thèque, la Lituanie et le Royaume-Uni.
Une liste noire incontestable
Que dit la résolution ? Elle établit un état des lieux s’appuyant sur les nombreux témoignages et documents incontestables : travail forcé, séparation des familles, viols, internements de masse, politiques de stérilisation et d’élimination de l’identité ouïghour, etc. Une liste noire suffisamment longue d’atteintes aux droits de l’homme que la résolution dénonce sans ambiguïté : « Ces éléments (…) témoignent d’une intention de détruire l’identité, les liens communautaires ouïghours, les possibilité de filiation et les liens entre générations et plus généralement de détruire les Ouïghours, y compris biologiquement en tant que groupe à part entière. » Et de conclure : « Ces violences politiques extrêmes et systématiques, organisées et planifiées par l’État chinois, sont constitutives d’un génocide. » La République en marche, qui avait mobilisé ses membres ainsi que le Modem et Agir ensemble, explique son soutien au Parti socialiste pour « symboliquement manifester un accord sur le fond et s’inscrire dans le mouvement des autres parlements européens qui ont adopté de telles résolutions ».
L’abstention ambiguë du Parti communiste
Le génocide des Ouïghours reconnu cette fois, mieux vaut tard que jamais, par nos parlementaires n’a pas non plus retenu l’attention du Parti communiste et de la France insoumise qui se sont, contre toute attente, abstenus ! « La dénonciation d’un génocide et d’un crime contre l’humanité n’appartient pas au législateur », a dénoncé au nom du groupe communiste le député Jean-Paul Lecoq. Comme si un génocide relevait d’une simple revendication s’exprimant dans la rue à coups de slogans et de banderoles. Et le législateur a toujours bon dos quoi qu’il fasse, puisqu’on lui reproche tout et son contraire… C’est le privilège de la contestation permanente. Mais, sans tirer sur l’ambulance, comment une formation de gauche peut-elle boycotter une telle résolution qui a le mérite d’être claire et d’engager la position de la France sur ces agissements inhumains ? Le Parti communiste serait-il encore séduit par le communisme totalitaire au point d’oser préférer au dialogue le mensonge et la dissimulation ? Ou n’est-il pas totalement au clair avec les années noires du stalinisme au risque de soutenir un génocidaire, le « communiste » Xi Jinping ?
LFI arc-boutée sur ses principes
Pour La France insoumise, cette décision de s’abstenir relève aussi, au choix, d’un désordre intellectuel ou d’une forme d’amnésie, qu’on a bien du mal à cerner. Oui, LFI prétend soutenir les Ouïghours contre le régime chinois coupable de crimes contre l’humanité. Mais non, estime Clémentine Autain, ce sujet doit rester sur le terrain des ONG et des universitaires, seuls légitimes à caractériser un génocide. C’est bien connu pour LFI, nos députés, dont elle fait partie, sont toutes et tous esclaves du « système » !
« Il s’agit d’une question juridique et politique », argumente-t-elle. En se justifiant : « Des députés vont voter ce texte et continuer de soutenir un gouvernement qui prend le thé avec les responsables du massacre. » Fidèle à ses positions protestataires et arc-boutée sur ses principes, même quand il s’agit de se prononcer officiellement contre un génocide dans le cadre du Parlement, La France insoumise, mais toujours soumise à son idéologie, préfère instrumentaliser un sujet dont la gravité devrait dépasser les querelles politiques et les slogans stériles, au lieu de rallier un consensus national. Certes, cette résolution qui a une valeur hautement symbolique à deux semaines de l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver à Pékin, n’a pas de conséquence contraignante pour l’empire du Milieu. Mais, pour certains de nos élus attirés par l’attraction du vide, entre ne rien faire et faire un peu, il vaut mieux ne rien faire. En politique, à force de surenchère partisane dans la démagogie, c’est l’inaction qui menace la démocratie et non le pragmatisme. Et à force de se prendre les pieds dans son propre tapis, on finit par tomber.
C’est regrettable, pour ne pas dire pathétique quand il s’agit d’une question de vie ou de mort de tout un peuple. À trois mois des élections, une partie de la gauche française en est encore là. Circulez, y a rien à voir !