Tribune de Jean-Jacques Cambier, journaliste
« Il n’y a pas cinquante moyens de lutter contre l’islamisation de notre pays. Il y a soit la laïcité, soit la croisade. Comme je ne crois pas beaucoup à la croisade, je pense qu’il faut user de la laïcité », confiait Marine Le Pen au journal Présent en 2010. Telle est la véritable conception de la laïcité de la présidente du Rassemblement national : un alibi pour mener la vie dure à nos compatriotes musulmans. Le mot laïcité est invoqué à l’envi, mais le principe est subverti sans vergogne. L’objectif : endiguer cette prétendue « islamisation de la France », argument classique de l’extrême droite. La laïcité du Rassemblement national est une supercherie.
Ce détournement du principe de laïcité par Marine Le Pen a été analysé en détail par le politologue Laurent Bouvet dans La Nouvelle Question laïque (Flammarion, 2019). Il expliquait notamment, à propos de la stratégie de campagne du FN adoptée en 2012 : « Cette utilisation, inédite dans l’extrême droite française, de la laïcité comme argument électoral, remplit deux fonctions. La première est de focaliser l’attention autour de l’islam, en tant que religion, en signalant qu’il y a là une double incompatibilité avec la culture chrétienne française et avec les valeurs de la République ; la seconde est de séduire des électeurs républicains, de droite mais surtout de gauche, attachés à la laïcité. » (Nous reproduisons en fin d’article un large extrait de l’ouvrage de Laurent Bouvet qui démystifie implacablement cette « conversion » laïque du mouvement de Marine Le Pen.)
Le goût des boucs émissaires
Le RN, c’est bien connu, s’empare d’inquiétudes parfois légitimes pour marteler ses mauvaises réponses. L’extrême droite n’a jamais été laïque. Et quand elle prétend l’être concrètement, ce n’est que pour intimider et menacer. Chacun se souvient de la manière dont Julien Odoul avait humilié une femme voilée présente dans le public du conseil régional de Bourgogne, le 11 octobre 2019, celle-ci étant venue assister aux débats dans le cadre d’une sortie scolaire. Le président du groupe RN s’était adressé en ces termes à la présidente socialiste Marie-Guite Dufay : « Je vais vous demander, s’il vous plaît, au nom de nos principes laïques, de bien vouloir demander à l’accompagnatrice qui vient d’entrer dans cette salle de bien vouloir retirer son voile islamique. Nous sommes dans un bâtiment public, nous sommes dans une enceinte démocratique, madame a tout le loisir de garder son voile chez elle, dans la rue, mais pas ici ! »
L’extrême droite stigmatise. L’extrême droite désigne des boucs émissaires. L’extrême droite fracture la société. Elle ne veut pas l’unité nationale : elle fantasme une unité identitaire.
Il faut visionner cette séquence et méditer la violence de l’apostrophe. Qui oserait, quelles que soient ses convictions, faire honte de la sorte à une mère de famille (quelles qu’aient pu être les arrière-pensées supposées de celle-ci), devant des enfants, dans un lieu aussi solennel ? L’extrême droite, elle, ose cela. Cette façon de pointer du doigt une personne au milieu d’autres, au mépris de l’humanité la plus élémentaire, est même l’une des principales caractéristiques de l’extrême droite de toujours. L’extrême droite stigmatise. L’extrême droite désigne des boucs émissaires. L’extrême droite fracture la société. Elle ne veut pas l’unité nationale : elle fantasme une unité identitaire.
Des cultes à égalité
Que l’on ne se méprenne pas. Il est légitime de critiquer la pratique du voilement islamique dans lequel on peut voir un instrument patriarcal qui infériorise la femme. Il n’est pas moins légitime de penser que des accompagnateurs scolaires, à qui est délégué une mission éducative au sein de l’école laïque, ne devraient pas arborer de signes religieux ostentatoires. Mais s’opposer au voilement ne saurait en aucun revenir à faire la guerre aux femmes voilées. L’opposition au voilement, qui est d’ailleurs avant tout un combat féministe, doit s’exprimer dans un cadre démocratique dont la vocation, rappelons-le, est de civiliser les conflits. Une opposition d’autant plus permise que, dans notre République laïque, aucune pratique religieuse ni aucun culte ne sauraient être épargnés par la critique.
L’idéal laïque est synonyme d’émancipation, de liberté et de fraternité. Il implique de savoir mettre ses appartenances au second plan dans les délibérations citoyennes. Le principe de laïcité autorise donc la critique mais aussi la moquerie de tous les cultes, sans exception. Et cette absence d’exception est en réalité à comprendre comme une preuve de respect. On pourra aussi parler de « bienveillance » à l’instar de l’avocat de Charlie Hebdo Richard Malka, en décembre dernier, sur le plateau de Quotidien : « C’est une bienveillance de se moquer de l’islam comme des autres religions : le racisme, c’est de considérer que, parce qu’on est musulman, on ne peut pas avoir d’humour ou d’autodérision. »
Si le Rassemblement national est parvenu à faire main basse sur la laïcité d’une façon aussi spectaculaire, cela est dû en grande partie aux manquements de tous ceux, notamment à gauche, qui auraient dû reprendre le flambeau de la défense de la « laïcité à la française ».
Cette « bienveillance » entre citoyens égaux n’est pas du côté de l’extrême droite, loin de là. Celle-ci ne comprend pas la « laïcité à la française ». L’argument pseudo-laïque invoqué par Julien Odoul le 11 octobre 2019 ne tenait d’ailleurs pas la route. L’accompagnatrice pointée du doigt à Dijon avait le droit d’être voilée parmi le public du conseil régional de Bourgogne. Ce n’était évidemment pas le respect de la laïcité qui motivait l’esclandre de l’élu RN, mais plutôt l’occasion d’une mise au ban assumée. Une mise au ban des femmes voilées que Marine Le Pen prévoit de généraliser à tous les lieux publics si elle venait à être élue le 24 avril prochain, en contradiction totale avec le principe républicain de laïcité et amalgamant allégrement (puisqu’elle invoque à ce sujet le combat contre l’islamisme) tous les musulmans avec les islamistes, c’est-à-dire les promoteurs d’un islam politique par définition incompatible avec une République laïque.
Manquements républicains
Il est infiniment triste que le Rassemblement national ait réussi à se faire passer pour laïque aux yeux de ses partisans et, surtout, à paraître auprès d’une large partie de l’opinion pour un champion en la matière. Cela est si vrai que, pour beaucoup, le mot « laïcité » est désormais associé à une droite dure. Et se revendiquer militant laïque, c’est souvent prendre le risque d’être regardé de travers, voire d’être accusé d’extrême-droitisme. Laurent Bouvet lui-même en a fait les frais, essuyant de nombreuses attaques, en particulier sur les réseaux sociaux. Un comble pour ce défenseur rigoureux du principe de laïcité, auteur de l’indispensable Nouvelle Question laïque et ayant démystifié la stratégie frontiste en matière de laïcité!
Si le Rassemblement national est parvenu à faire main basse sur la laïcité d’une façon aussi spectaculaire, cela est dû en grande partie aux manquements de tous ceux, notamment à gauche, qui auraient dû reprendre le flambeau de la défense de la « laïcité à la française ». Au lieu de cela, une laïcité dite « ouverte », mâtinée d’œcuménisme et de tolérantisme à l’anglo-saxonne, a fait florès. Une laïcité vidée de sa substance. Une laïcité accommodante qui laisse les politiques démunis face aux revendications communautaristes, quand elle ne les légitime pas. Et les militants laïques se sont longtemps désespérés que l’Observatoire de la laïcité, organisme officiel mis en place en 2007, s’avérât prôner une telle laïcité au rabais.
Cette laïcité dite « ouverte » a pu séduire à gauche, il faut le rappeler, dans le contexte d’une politisation de la laïcité amorcée dans les années 2000. Laurent Bouvet explique dans La Nouvelle Question laïque que les années 2000 et 2010 ont en effet été « le théâtre d’une politisation accéléré de la laïcité ». Il écrit notamment : « Le premier acteur de cette nouvelle époque est le ministre de l’Intérieur du début des années 2000 qui deviendra président de la République en 2007, Nicolas Sarkozy. C’est lui qui le premier va utiliser la laïcité comme un instrument au service du combat politique. Ce qui aura pour conséquence, outre d’en brouiller encore un peu plus la compréhension par les Français, de briser définitivement le cadre politique classique dans lequel on l’envisageait, entre une gauche qui en était la garante historiquement et une droite plus proche de l’Église qui ne l’acceptait que sous conditions. Obligeant les uns et les autres à revoir leur position en fonction de cette instrumentalisation politique et non directement des problèmes, nouveaux et nombreux, soulevés par la diffusion d’un islamisme de plus en plus virulent et structuré sur le territoire national. »
Un long fleuve tranquille ?
La dissolution de l’Observatoire de la laïcité par le gouvernement, en juin dernier, a été une bonne nouvelle pour tous les militants laïques. Elle a été saluée comme une prise de conscience par le président Emmanuel Macron, longtemps suspecté de nourrir des tentations concordataires, et comme le gage d’un nouveau départ en matière de défense et de promotion de la laïcité à la française.
Dimanche 24 avril, il faudra voter Emmanuel Macron afin d’épargner à notre pays la honte et le danger d’avoir une Le Pen à l’Élysée. Cela signifie-t-il, si l’actuel président de la République est réélu, que l’avenir se présentera sous la forme d’un long fleuve tranquille pour tous ceux qui sont attachés à la laïcité à la française ? Sans doute pas. La vigilance restera de mise pour les militants laïques et les féministes qui veillent farouchement à contenir les influences religieuses loin du débat public. L’improvisation malheureuse du candidat à sa succession, le 12 avril, en marge d’un meeting à Strasbourg, donnant le sentiment qu’il cautionnait le « féminisme » d’une femme voilée, a ainsi fait lever les yeux au ciel à bien des militants.
A-t-on raison de s’agacer d’un tel écart ? Peut-être, car le diable communautariste se niche parfois dans les détails.
Un tel écart doit-il semer le doute sur le travail déjà accompli ? On pourra préférer penser que le vote de « la loi confortant les principes de la République » du 24 août 2021 est davantage significatif de la dynamique de fond dans laquelle la majorité présidentielle travaille désormais. Par ailleurs, on peut observer que la prise de conscience laïque ne concerne pas que la majorité présidentielle mais aussi une partie de la gauche longtemps prise au piège de cette politisation de la laïcité évoquée plus haut. La campagne réussie du candidat Fabien Roussel s’est notamment démarquée par une défense sans ambiguïté de la laïcité à la française, réancrant celle-ci à gauche. Si le score du candidat communiste a pâti d’un « vote utile », sa candidature aura au moins eu la grande utilité de rappeler quelques fondamentaux de la gauche historique, dont son attachement à une République laïque et sociale. Ces signaux autorisent à espérer des débats constructifs entre républicains de tout bord en matière de défense de la laïcité.
Dimanche 24 avril, il ne faudra ni s’abstenir ni voter blanc. Comme l’a écrit le maire de Zimmerbach, Benjamin Huin Morales, sur Twitter le 11 avril : « Quand l’extrême droite menace d’arriver au pouvoir, on ne vote jamais “par défaut”. On vote par conviction pour la République. Lors de ce second tour, elle sera incarnée par M. Macron, pour qui il faut donc voter. »
Laurent Bouvet avait sous-titré son livre La Nouvelle Question laïque : Choisir la République.
Le 24 avril, choisissons la République.
LA STRATÉGIE FRONTISTE EN MATIÈRE DE LAÏCITÉ
Extrait de La Nouvelle Question laïque (Flammarion, 2019) de Laurent Bouvet
[…] Le thème de la laïcité n’est devenu central dans le discours et le programme du Front national qu’à partir des années 2010. Auparavant, le terme lui-même n’était pas cité ou s’il l’était, ce n’était qu’en passant, comme synonyme d’opposition au communautarisme par exemple, dans le programme de Jean-Marie Le Pen en 2007. L’appartenance au FN, dès l’origine du mouvement en 1972, d’une fraction du catholicisme intégriste, rendait en effet difficile la mobilisation du répertoire laïque. Ce n’est qu’au moment de l’accession de Marine Le Pen à la tête du parti en janvier 2011, compte tenu de l’échec relatif de la candidature de son père contre Nicolas Sarkozy en 2007 et surtout pour concurrencer l’offensive identitaire sur le thème de la « laïcité positive » de ce dernier – voir le chapitre 21Dans ce chapitre intitulé « La politisation de la laïcité », Laurent Bouvet explique que les années 2000 et 2010 ont été « le théâtre d’une politisation accéléré de la laïcité ». Il écrit notamment : « Le premier acteur de cette nouvelle époque est le ministre de l’Intérieur du début des années 2000 qui deviendra président de la République en 2007, Nicolas Sarkozy. C’est lui qui le premier va utiliser la laïcité comme un instrument au service du combat politique. Ce qui aura pour conséquence, outre d’en brouiller encore un peu plus la compréhension par les Français, de briser définitivement le cadre politique classique dans lequel on l’envisageait, entre une gauche qui en était la garante historiquement et une droite plus proche de l’Église qui ne l’acceptait que sous conditions. Obligeant les uns et les autres à revoir leur position en fonction de cette instrumentalisation politique et non directement des problèmes, nouveaux et nombreux, soulevés par la diffusion d’un islamisme de plus en plus virulent et structuré sur le territoire national. » (note de la rédaction) –, que le mot va être employé et qu’il va même devenir un élément-clef du discours frontiste. Celle qui n’était pas encore présidente du FN déclarait au journal Présent, dès décembre 2010 : « Il n’y a pas cinquante moyens de lutter contre l’islamisation de notre pays. Il y a soit la laïcité, soit la croisade. Comme je ne crois pas beaucoup à la croisade, je pense qu’il faut user de la laïcité. » Juste après son élection en janvier 2011, elle précisait sa vision de la laïcité dans un entretien accordé à La Chaîne parlementaire (LCP) : « Je pense que la France peut être laïque parce qu’elle est chrétienne de culture, et on s’aperçoit d’ailleurs que les pays musulmans ont les plus grandes difficultés à être laïcs […] Les pays musulmans qui sont laïcs l’ont été en général par la force (Irak, Tunisie) ou par l’armée comme en Turquie […] La laïcité n’est pas absolument compatible… pas naturelle, avec l’islam, puisque l’islam confond le spirituel et le temporel […] Mon propos n’est pas de lutter contre les religions, mon propos c’est de dire : en France “pas d’État dans l’État” […] La France est la France. Elle a des racines chrétiennes, c’est ainsi, c’est ce qui fait aussi son identité. Elle est laïque, et nous tenons à cette identité et nous ne permettrons pas que cette identité soit modifiée2Propos repris dans Le Parisien, « Marine Le Pen donne sa définition d’une France laïque », 28 janvier 2011. (note de Laurent Bouvet) https://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/marine-le-pen-donne-sa-definition-d-une-france-laique-28-01-2011-1247059.php. »
La nouvelle présidente du Front national emploiera également le terme à plusieurs reprises dans la préparation de sa campagne de 2012, que ce soit à propos des prières de rue, de la viande halal, des menus dans les cantines scolaires ou encore lorsqu’elle évoque le FN comme protecteur des femmes, des homosexuels et des juifs contre « l’offensive islamiste3Dès décembre 2010, Marine Le Pen avait déclaré (AFP) : « Un certain nombre de territoires, de plus en plus nombreux, sont soumis à des lois religieuses qui se substituent aux lois de la République. Oui, il y a occupation et occupation illégale. J’entends de plus en plus de témoignages sur le fait que, dans certains quartiers, il ne fait pas bon être femme, ni homosexuel, ni juif, ni même français ou blanc. » (note de Laurent Bouvet). Cette utilisation, inédite dans l’extrême droite française, de la laïcité comme argument électoral, remplit deux fonctions. La première est de focaliser l’attention autour de l’islam, en tant que religion, en signalant qu’il y a là une double incompatibilité avec la culture chrétienne française et avec les valeurs de la République ; la seconde est de séduire des électeurs républicains, de droite mais surtout de gauche, attachés à la laïcité, pour l’élection de 2012. Dans son programme électoral pour la présidentielle, après avoir souligné que la construction née de la loi de 1905 était « heureuse et équilibrée », Marine Le Pen propose des mesures fondées sur une conception extensives de la laïcité : interdiction de toute aide publique à la construction et à l’entretien des lieux de culte (dont les baux emphytéotiques) ; interdiction de tout financement étranger de l’islam en France ; interdiction de tout signe d’appartenance religieuse pour les usagers du service public (notamment du voile islamique) voire dans les transports publics ; interdiction de toute pratique qui pourrait être discriminatoire vis-à-vis des non-musulmans lorsqu’il y a un financement public (cantines scolaires, piscines, hôpitaux, etc.) ; interdiction dans la Constitutions des « communautés4Mon projet pour la France et les Français, Programme présidentiel de Marine Le Pen, 2012, « Laïcité, la République une et indivisible », p. 7 (note de Laurent Bouvet) https://www.rassemblementnational.fr/pdf/projet_mlp2012.pdf ».
Cette stratégie de double « conversion », à la fois aux valeurs républicaines et à la défense des libertés « occidentales » (de mœurs en particulier), contre l’islam, va vite se révéler payante politiquement. Non seulement parce que ce qu’annonce Marine Le Pen va lui permettre d’être reconnue, sans pour autant que cela signifie adhésion ou collusion, par une partie des défenseurs de la laïcité, ainsi, par exemple, la philosophe Élisabeth Badinter déclare-t-elle : « En dehors de Marine Le Pen, plus personne ne défend la laïcité. Au sein de la gauche, le combat a été complètement abandonné, si ce n’est par Manuel Valls5Entretien au Monde des religions, septembre 2011 (note de Laurent Bouvet) https://www.lemonde.fr/politique/article/2011/09/29/elisabeth-badinter-en-dehors-de-marine-le-pen-plus-personne-ne-defend-la-laicite_1580125_823448.html » ; mais surtout parce qu’elle gagne de nombreux électeurs, par rapport à son père, en 2012. Le thème de la laïcité devient dès lors courant au FN. Ainsi, à l’été 2016, au moment de la polémique sur le burkini, le parti lepéniste utilise-t-il la laïcité comme argument : « Les polémiques récentes sur le “burkini” ou le voile à la plage n’en sont qu’une énième illustration [des revendications communautaristes] qui s’ajoute aux revendications politico-religieuses dans les entreprises, à l’université, dans les transports, dans les services publics, etc. Le débat est toujours le même : au mépris de la laïcité, des extrémistes cherchent à imposer des pratiques et des codes politico-religieux dans l’espace public6Front national, communiqué de presse du 24 août 2016 (note de Laurent Bouvet) https://rassemblementnational.fr/communiques/laicite-cest-a-la-republique-detre-revendicative/. » Lors de la campagne présidentielle de 2017, Marine Le Pen reprend les mêmes éléments programmatiques qu’en 2012 : « La laïcité est menacée parce que, trop souvent, elle est mal comprise et insuffisamment appliquée. La laïcité est un principe qui veut que les croyances et les pratiques religieuses soient libres dans la sphère privée. En revanche, les convictions religieuses n’ont pas à déborder dans l’espace public. Si donc je veux interdire le port d’insignes religieux ostentatoires dans la rue, comme ils sont déjà prohibés à l’école depuis 2004, c’est que la rue appartient, par nature, à l’espace public, et qu’il y a un danger à ce que chacun y exhibe sa religion. Les insignes religieux y deviennent en fait des étendards communautaires qui séparent les Français en fonction de leur religion7Entretien au Monde des religions, mai 2017 (note de Laurent Bouvet). »
La vision, identitaire, de la laïcité au Front national se présente ainsi, de prime abord, comme une extension du principe de neutralité à l’ensemble de l’espace public et de nos concitoyens. Mais elle renvoie aussi à un contenu culturel très particulier qui dissocie l’islam des autres cultes, au premier chef du catholicisme. On peut d’ailleurs y voir aussi le reflet de l’une des ambiguïtés ou de l’un des clivages internes au FN, au choix, de ce que ce parti doit « gérer » dans son équation programmatique, entre un Front qu’on trouve plus récent dans le nord de la France (sur les terres d’élection de Marine Le Pen notamment) qui est moins attaché au catholicisme, en raison d’une sécularisation ancienne, concomitante à une forte présence ouvrière, et un Front plus présent dans le Sud-Est, plus conservateur et plus attaché aux traditions religieuses, catholique en particulier, qu’incarne bien la position de Marion Maréchal-Le Pen par exemple. Celle-ci soulignait notamment, en 2015 : « Il faut accepter de définir et de revendiquer quel est notre héritage et quel est notre identité. Ça passe par l’affirmation de notre héritage gréco-romain et chrétien. Il faut dire que la France est une terre culturellement et très longtemps spirituellement chrétienne […] Et dans ces conditions, si des Français peuvent être musulmans et exercer leur foi, il faut qu’ils acceptent de le faire sur une terre qui est culturellement chrétienne. Ça implique aujourd’hui qu’ils ne peuvent pas avoir exactement le même rang que la religion catholique. […] Ne serait-ce que parce que nous avons des traditions populaires qui ont des connotations spirituelles qui peuvent s’exercer dans le cadre public, ce qui aujourd’hui ne peut pas être le cas de l’islam8Entretien à Présent, 21 novembre 2015. Voir notamment « Marion Maréchal-Le Pen estime que les musulmans “ne peuvent pas avoir exactement le même rang” que les chrétiens », Huffington Post, 21 novembre 2015 (note de Laurent Bouvet) https://www.huffingtonpost.fr/2015/11/21/marion-marechal-le-pen-musulmangs-rang-chretien_n_8616158.html. » Ainsi le FN défend-il aussi, par exemple, les crèches installées dans les mairies, au nom de la tradition chrétienne, au moment de Noël. On ne peut s’empêcher de voir dans ce deux poids deux mesures dans le traitement des différents cultes au regard de la laïcité, une manière de choisir plutôt la croisade que la laïcité pour reprendre les termes, cités plus haut, utilisés par Marine Le Pen en 2010. « Il y a soit la laïcité, soit la croisade. Comme je ne crois pas beaucoup à la croisade, je pense qu’il faut user de la laïcité. » La laïcité devenant dès lors plutôt un prétexte culturel voire civilisationnel qu’un objectif politique. […]
Texte extrait de « À droite, entre accommodement conservateur et appropriation identitaire » (chapitre 3 : « La carte de la laïcité et le territoire »), pages 135 à 141.
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