Alain Barbanel, journaliste
C’est une première dans l’histoire de la « noble » institution de la rue Saint-Guillaume. Des étudiants arborant le keffieh palestinien aux cris de « Palestine vaincra » s’affichent aux fenêtres de Sciences Po pour revendiquer leur soutien à Gaza et dénoncer le « génocide », terme qui figure en grosses lettres sur une banderole sous le mot « guerre », barré d’une croix, le tout orné de drapeaux palestiniens. « On est là pour l’honneur de la Palestine et tous ceux qu’on assassine, nous on est là » scande sur X le parti Révolution permanente diffusant une vidéo montrant des étudiants dans la rue bloquant l’entrée de l’établissement entravée par des poubelles et autres détritus. À l’intérieur, les plus déterminés du Comité Palestine ont installé des tentes pour marquer leur territoire et occuper les lieux et réclament notamment « la condamnation claire des agissements d’Israël par l’administration de Sciences Po ainsi que « la fin des collaborations avec toutes les entités » jugées complices de « l’oppression systémique du peuple palestinien ». Sans oublier la fin de « la répression des voix pro-palestiniennes sur le campus ».
Le blocage pour seul argument
Une première ? Non pas tout à fait, une poignée d’étudiants avait déjà occupé le campus en décembre dernier pour réclamer le départ de leur directeur Mathias Vicherat, suite à une affaire de violences conjugales. Sur ce cas précis, on peut déjà s’interroger sur la légitimité du syndicat Union étudiante à exiger l’éviction de son directeur sur une affaire non encore jugée et qui relève de la justice. Mais ce n’est pas la première fois que la justice populaire dans ce pays défiait le droit, et, sous la pression, le directeur choisit finalement de démissionner de son poste « afin de préserver l’établissement ».
Concernant les revendications pro-palestiniennes, le modus operandi du Comité Palestine dont certains membres ne cachent pas leur proximité avec l’islam radical, soulève bon nombre de questions sur la forme et le fond.
Bloquer les portes d’un établissement universitaire, c’est refuser le dialogue, adopter une posture sectaire, voire totalitaire, qui n’a pas sa place dans un lieu d’éducation universaliste et de transmission des savoirs et des connaissances.
Sur la forme. Choisir le blocage comme mode d’action n’est certes pas nouveau dans les établissements universitaires. Mais émanant d’étudiants d’une institution censée former des élites à l’esprit républicain, et dont la marque de fabrique est le débat d’idées, le contradictoire et non la censure, et la confrontation argumentée des points de vue dans le respect de l’autre, c’est une stratégie contreproductive, à l’exact opposé de l’enseignement des sciences politiques. Bloquer les portes d’un établissement universitaire, c’est refuser le dialogue, adopter une posture sectaire, voire totalitaire, qui n’a pas sa place dans un lieu d’éducation universaliste et de transmission des savoirs et des connaissances.
Et celles et ceux qui crient à l’oppression d’un État policier quand la direction de Sciences Po fait appel aux forces de l’ordre pour débloquer la situation, feignent d’ignorer la loi, dont l’article L 712 du code de l’Éducation qui prévoit qu’en cas de perturbation et d’entrave à l’accès aux cours, le chef d’établissement peut faire appel aux forces de l’ordre pour permettre à l’établissement de fonctionner normalement. Pour rappel, à l’université de Columbia de New York, plus d’une centaine d’inculpations ont été prononcées pendant les manifestations pro-palestiniennes à l’intérieur du campus, dans un pays dont le premier amendement est pourtant le « free speech » ! À ce jour, pas une seule à Sciences Po…
Les yeux rivés sur les campus américains
Sur le fond maintenant. La guerre Israël-Hamas qui s’est invitée dans les universités françaises est le miroir de ce qui se passe dans les universités et les campus américains. À Sciences Po, les étudiants ont justement les yeux rivés sur l’Université Columbia à New York. Déjà pour des raisons structurelles, car les deux établissements offrent un double diplôme et des équivalences se déroulant en quatre ans. Mais aussi et surtout pour des motifs idéologiques, Columbia étant à la pointe de la convergence des luttes et des combats intersectionnels réunissant les minorités et dont le conflit au Proche Orient est l’un des points d’ancrage, le Palestinien étant la nouvelle incarnation du « damné de la terre » et la Palestine l’illustration de la lutte du Sud contre l’Occident.
La guerre Israël-Hamas qui s’est invitée dans les universités françaises est le miroir de ce qui se passe dans les universités et les campus américains. À Sciences Po, les étudiants ont justement les yeux rivés sur l’Université Columbia à New York.
Question : l’université française, avec Sciences Po en pole position, doit-elle être le lieu de l’expression paroxystique des soubresauts de cette guerre, à grands renforts de slogans militants instrumentalisés par un parti politique, LFI pour ne pas le nommer, qui fait de la guerre à Gaza ses choux gras et sa matrice de campagne des prochaines élections européennes ? À preuve, Jean-Luc Mélenchon n’a pas hésité à donner de sa voix (enregistrée) rue Saint-Guillaume, accompagné de ses fidèles et de la très médiatique militante franco-palestinienne Rima Hassan, candidate sur la liste insoumise pour les élections européennes. « Je voulais à tout prix vous adresser le salut le plus reconnaissant et le plus admiratif pour le travail que vous avez engagé. Vous êtes, à cet instant, pour nous, l’honneur de notre pays, l’image la plus forte que nous puissions donner », a flatté devant un auditoire en liesse, le triple candidat à l’élection présidentielle. Mais pour ce qui est de « l’honneur », on attend toujours de sa part, et de celle des étudiants de Sciences Po, un emballement équivalent pour condamner catégoriquement et sans circonlocutions, le pogrom islamiste du 7-Octobre ou les massacres de Poutine en Ukraine…
LFI fait feu de tout bois
Cette présence d’un leader politique pose plusieurs questions. Comment accepter qu’un parti politique, quel qu’il soit, puisse instrumentaliser un lieu de transmission des connaissances dont l’essence même doit être la neutralité et l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs, au risque d’en faire une plateforme de revendications dont le séparatisme deviendrait plus important que ce qui doit réunir dans un espace de savoirs ?
Last but not least, parmi les revendications des étudiants pro-palestiniens de la rue Saint-Guillaume figure la demande à la direction de s’engager à remettre en cause les coopérations scientifiques avec les universités israéliennes et tout « partenariat de l’école avec les organisations soutenant l’État d’Israël ». Outre la posture idéologique intenable d’une telle exigence inspirée de la démarche du mouvement encourageant le boycott d’Israël, de quel droit et avec quelle légitimité un lieu d’enseignement universitaire déciderait-il d’une telle mesure contrevenant à tous ses principes d’indépendance ? Les exigences jusqu’au-boutistes des tenants de « la cause » palestinienne s’inscrivent dans un processus de déconstruction mortifère, qui emprunte bel et bien au wokisme dans lequel une partie de la rue Saint-Guillaume s’est visiblement drapée.