Par Alain Barbanel, journaliste
C’est officiel. Il sera remplacé par deux structures, un haut conseil à la laïcité et une administration de la laïcité. Exit donc son président Jean-Louis Bianco et son rapporteur général Nicolas Cadène. Dans la foulée, pas moins de 119 universitaires, parmi lesquels les historiens Jean Baubérot et Valentine Zuber, mais aussi Michel Wieviorka (EHESS) et Olivier Roy (CNRS), ont pris la plume dans une tribune publiée dans Le Monde. « Ne faisons pas de l’Observatoire de la laïcité un bouc émissaire » s’inquiètent ces universitaires partisans d’une laïcité « souple », qui redoutent aussi de voir la laïcité devenir un « outil répressif, de contrôle et d’interdiction en contradiction totale avec la loi de 1905. » Dans les faits, l’Observatoire qui, à défaut d’observer l’application des bonnes pratiques en matière de laïcité, s’est plus souvent positionné comme une tribune d’opinions souvent critiquables qu’un garant stricto sensu de la loi. On peut certes débattre, ne pas être d’accord, polémiquer, mais était-ce là le rôle essentiel d’une institution censée faire appliquer la loi, rien que la loi ? Cela traduit pour le moins le caractère flou du périmètre qui lui a été fixé dès son origine. Gardien du phare ou instrument de polémiques et de controverses, l’Observatoire a le plus souvent provoqué des effets inverses à ceux qui étaient attendus.
Une reprise en main de l’État
Que dit la suppression de cet organisme ? Plus qu’un symbole, voyons-y d’abord une reprise en main par l’exécutif d’un sujet d’intérêt général et cette fois au sein d’une administration, même si le cadre précis reste encore à définir. Désormais c’est à l’État que cette nouvelle structure devra rendre des comptes en suivant une feuille de route et un cap conformes à l’esprit de la loi. On garde en mémoire les tentatives échouées de Manuel Valls, alors premier ministre de François Hollande, pour évincer le tandem Bianco-Cadène, soutenu par les réseaux de l’ancien secrétaire de l’Élysée et en particulier par Ségolène Royal. Autorité indépendante, et véritable « poil à gratter » pour l’autorité, l’Observatoire n’a eu de cesse de parasiter le discours officiel, en ne rendant de comptes qu’à… lui-même ! Les exemples sont légion : tribune co-signée au lendemain des attentats de novembre 2015 aux côtés de personnalités douteuses dont le chanteur Médine auteur du titre Don’t Laïk, appelant la « crucifixion des laïcards comme à Golgotha », et d’autres officines islamistes comme le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) dissoute depuis l’attentat contre l’enseignant Samuel Paty. S’abritant derrière ce qu’il qualifie de « fixation de l’opinion sur le voile », le président de l’Observatoire haut fonctionnaire de l’État, continuera à mettre sa neutralité en sourdine, en prenant position contre Élisabeth Badinder ou en ne voyant pas d’objection à porter des signes religieux ostensibles dans le cadre du Service national universel, ce qui lui vaudra l’ire de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale qui déclarera : « l’Observatoire ne m’a pas consulté avant… » La guerre est déclarée entre l’État et son électron libre.
L’Observatoire : une fausse-bonne idée
La sanction est tombée et elle était attendue dans la foulée de la loi confortant le respect des principes de la République, dont les promoteurs entendent bien, au-delà de son application, mettre un terme à la cacophonie au plus haut sommet des institutions. Comment en effet créditer l’Observatoire d’une quelconque légitimité quand son rapporteur général, aux côtés de la militante Rokhaya Diallo, s’en prend à la liberté d’expression en s’indignant sur les réseaux sociaux d’une caricature de Xavier Gorce[1] sur le thème de l’inceste publiée par le journal Le Monde ? Comment expliquer la proximité de l’Observatoire avec l’association Coexister, qui se définit « mouvement interconvictionnel » dans le collimateur du gouvernement, proche des Frères musulmans, de BarakaCity, et soutien de la « journée mondiale du hidjab » ? La même association qui a été choisie par l’Observatoire pour « parler à la jeunesse »…
Difficile dans ces conditions de promouvoir une laïcité neutre et respectueuse des principes de la république dans un débat sensible qui réclame transparence et loyauté aux principes du droit. Alors l’Observatoire de la laïcité était-il une fausse-bonne idée dès sa création ? Si sa trajectoire a dévié, on mettra au moins à son crédit d’avoir permis de faire tomber les masques de ceux qui interprètent la laïcité comme une figure à géométrie variable s’adaptant, au risque de la piétiner, aux courants idéologiques ambiants. Reste désormais à espérer que le remaniement annoncé et la nouvelle entité soient, sur le long terme, à la hauteur des enjeux.
[1] Les excuses officielles aux lecteurs, présentées par le quotidien, conduisent Xavier Gorce à mettre fin à sa collaboration avec le journal.