SOUTENEZ LE DDV >> ABONNEZ-VOUS À L’UNIVERSALISME
Emmanuel Debono, rédacteur en chef du DDV
Il existe des trous noirs idéologiques dans notre société. Les raisons qui poussent certains esprits à y plonger relèvent aussi bien du parcours souvent tumultueux de ces individus qu’aux effets d’accélération d’une conjoncture difficile, sinon tragique. Se laisser emporter dans un trou noir, c’est entrer dans son champ gravitationnel en adhérant à des théories qui rompent sciemment avec la réalité et d’où il est, par la suite, quasiment impossible de s’extraire. Et pour cause : l’entrée dans un système de pensée dogmatique donne au nouvel adepte des clés de lecture, des croyances qui agissent comme un baume, mais aussi le sentiment de dominer les événements. Qui songerait à faire dès lors machine arrière, à présent que l’ordre du monde s’explique et que les coupables, enfin, sont désignés ?
On se souvient que la politique de prévention de la radicalisation s’est prudemment substituée, il y a quelques années, au concept hasardeux de « déradicalisation ». De fait, la question est souvent posée à ceux qui luttent contre le complotisme, le racisme ou l’antisémitisme. Qui espèrent-ils convaincre ? L’interrogation, souvent, domine : « Vous ne prêchez que des convaincus… » Et les faits en attestent : la lutte contre les préjugés a aussi peu de prise sur un fan d’Alain Soral que la philosophie des Lumières sur un mollah. Les acteurs qui œuvrent sur ce terrain ont toutefois conscience qu’ils s’adressent en premier lieu à ceux qui se posent des questions légitimes, qui doutent de bonne foi, qui sont bombardés d’informations contradictoires et ne parviennent pas à trancher, à ceux encore, qui, en plein développement physiologique, se cherchent. À tous ceux-là, le pédagogue apporte la connaissance, les outils de la réflexion méthodique et du débat contradictoire. De tous ceux-là, l’enseignant travaille à nourrir l’esprit critique, pour que s’érige, autour du trou noir, des défenses, qui ont vocation à devenir instinctives.
Éveiller les consciences et enseigner la liberté
Fauché par un islamiste le 16 octobre 2020, Samuel Paty travaillait assidument, comme professeur d’histoire-géographie, à éveiller les consciences, à ériger ces garde-fous, afin que ses élèves se tiennent le plus possible à distance des dogmes sectaires, qu’ils ne succombent pas aux sirènes de l’intégrisme et qu’ils résistent aux fatwas. La liberté d’expression constituait dans son projet, qui est celui de l’école républicaine, un moyen autant qu’une finalité : confronter les élèves à l’altérité, les entraîner vers une liberté assumée et maîtrisée, car la liberté est un choix difficile, qui s’apprend et se pratique.
Dans l’exercice de ses fonctions, face aux menaces, Samuel Paty a été bien seul. Le fait qu’il ait éprouvé le besoin de s’armer d’un marteau pour faire face à d’éventuels agresseurs en dit long sur son sentiment d’abandon. L’information, récemment révélée, est d’une tristesse infinie. Passer de l’auto-défense intellectuelle à l’auto-défense physique est le signe d’une faillite complète.
C’est l’une des missions des enseignants que de construire cette digue intellectuelle pour que les théories les plus folles et les pensées frelatées viennent s’y fracasser. C’était le rôle et la conviction de Samuel Paty. Une mission ambitieuse, désormais soumise à une rude pression communautariste et à la concurrence de contre-discours simplificateurs, flattant la paresse et conférant la pire des illusions, celle d’être la voix de la vérité.
Soutenir l’école républicaine face à la propagande islamiste
Autour des enseignants, il est bien d’autres garde-fous à construire ou à renforcer, de telle sorte que cette parole, qui sollicite l’intelligence des élèves et non leurs instincts, qui s’appuie sur l’indépendance d’esprit et non sur le grégarisme, puisse s’exprimer sans crainte. Cette assurance doit être garantie par la hiérarchie mais elle procède aussi, nécessairement, d’une horizontalité, les freins et hésitations observés chez certains enseignants – qu’il s’agisse de la contestation de principes républicains ou d’autocensure – étant susceptibles de déteindre sur leurs collègues.
Le travail de sape accompli par des militants islamistes, plus ou moins anonymement, pour accréditer l’idée d’une école républicaine « islamophobe » devrait à ce titre inspirer la réponse la plus énergique qui soit. Car cette propagande mensongère est précisément l’un des ressorts qui fait entrer dans le champ gravitationnel de l’idéologie meurtrière, des adolescents qui – par nature – se cherchent. Deux ans après l’assassinat de Samuel Paty, le scandale de ces voix, dont l’influence dans les atteintes au principe de laïcité est attestée, résonne comme un insupportable hommage inversé.
Ce sont ces voix qu’il nous faut aujourd’hui couvrir, dans un hommage au courage de Samuel Paty, mort pour avoir voulu défendre nos libertés.
LIRE AUSSI > Le choix de la liberté
SOUTENEZ LE DDV >> ABONNEZ-VOUS À L’UNIVERSALISME
Achat au numéro : 9,90 euros
Abonnement d’un an : 34,90 euros