Par Alain Barbanel, journaliste
Au-delà des conséquences géopolitiques induites après la reprise de Kaboul par les Talibans illustrant un échec cuisant de l’administration américaine dans cette région du monde, de nature à regonfler le moral des djihadistes, le drame humanitaire qui se joue sous nos yeux en Afghanistan va mettre une fois de plus l’Europe au pied du mur de sa politique migratoire. Une situation jugée suffisamment critique pour avoir incité Emmanuel Macron à prendre la parole afin de donner la position de la France en matière des droits de l’homme. « De nombreux Afghans, défenseurs des droits, artistes, journalistes, militants, sont aujourd’hui menacés en raison de leur engagement. Nous les aiderons parce que c’est l’honneur de la France d’être aux côtés de celles et de ceux qui partagent nos valeurs » a-t-il déclaré.
Le souvenir de la crise politique de 2015
Dans la pratique, plus de 600 Afghans travaillant pour l’ambassade française et ses différentes antennes ont déjà été rapatriés sur notre territoire, ainsi que 800 civils et leurs familles qui ont collaboré avec l’armée française et son administration. Par ailleurs une trentaine d’Afghans déboutés de leur droit d’asile ont vu suspendre leur expulsion dès le 8 juillet. Mais le président français s’est montré aussi ferme en déclarant : « Nous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants. » Une position jugée « indécente » par l’opposition qui y voit une atteinte aux droits de l’homme pour la population afghane qui cherche refuge en France. Indécente mais pourtant conforme à la position européenne en la matière qui tente de maintenir son traditionnel numéro d’équilibriste entre l’approche humanitaire et la realpolitik et ce dans un contexte où un nouveau danger terroriste se profile. À en juger les propos de Christian Wigand, le porte-parole de la Commission, l’objectif prioritaire étant d’éviter de réitérer la crise politique qui s’était déroulée en 2015, confrontant l’Europe à un afflux majeur de migrants provoqué par la guerre fratricide en Syrie.
Face à ce nouveau drame afghan, le porte-parole a déclaré que l’Europe travaillait sur « une approche globale qui devra inclure la nécessité de fournir des voies sûres et légales aux personnes vulnérables tout en s’attaquant aux risques de la migration irrégulière et en assurant la gestion de nos frontières. » De son côté, l’Allemagne devant faire face à son agenda électoral, met aussi des gants pour ménager les sensibilités électorales sur un sujet qui avait divisé l’opinion et créé un électrochoc politique lors de la crise syrienne. Armin Laschet, le Président fédéral de la CDU (Union chrétienne démocrate d’Allemagne) invite à se centrer sur l’aide humanitaire sur site « à la différence de 2015 » en refusant « d’envoyer le signal que l’Allemagne peut accueillir tous ceux qui en ont besoin ». Dont acte. La Grèce enfin ne dit pas mieux par la bouche de son ministre de l’Immigration et de l’Asile, Notis Mitarachi en voulant « éviter toute pression similaire à celle à laquelle nous avons fait face au cours des années précédentes, dans des crises semblables ». Soit.
Vers un statu quo ?
Autrement dit, rien n’a changé dans le registre du droit d’asile et de la politique migratoire et ce, malgré les crises successives. Les 27 sont toujours dans l’incapacité de se mettre d’accord sur une démarche conciliant accueil efficace des réfugiés et sécurisation des entrées. Les réfugiés demeurent en proie aux dysfonctionnements du protocole en vigueur dit de Dublin, générant beaucoup de désordre, avec des délais administratifs qui durent parfois plus d’un an, confinant les migrants dans des centres d’hébergement aux conditions souvent indignes. Sans que la sécurité du territoire ne soit garantie pour autant.
Avec cette nouvelle chronique afghane d’un désastre annoncé, les mois qui viennent risquent à nouveau de confronter l’Europe à ses propres faiblesses, par manque de volonté politique, faisant sienne un adage dont les conséquences humanitaires pourraient se révéler une nouvelle fois dramatiques : il est urgent d’attendre !
Et pourtant, on ne pouvait pas dire qu’on ne savait pas. Signe annonciateur d’un séisme attendu, depuis un an, les réfugiés Afghans ont représenté le plus gros contingent de demandeurs d’asile en France. Et demain ? Pour paraphraser la fameuse phrase de Winston Churchill au lendemain des accords de Munich en 1938, il serait souhaitable que les instances internationales, après avoir perdu la guerre contre les talibans, ne choisissent pas le déshonneur en laissant les Afghans à leur triste sort. Ce devoir élémentaire d’humanité ne saurait être découplé d’une préoccupation incessante pour les conditions devant garantir la sécurité effective des réfugiés et de l’ensemble des Européens.
Après 20 ans de guerre, près de 1000 milliards de dollars investis par les États-Unis en équipements et en présence militaires, nous voici revenus à la case départ. Triste bilan. Avec, en plus, cette nouvelle donne : l’Europe aura perdu l’Oncle Sam et son rôle de gendarme dans cette partie du monde, la laissant seule, face à ses responsabilités qu’elle doit désormais assumer.