Propos recueillis par la rédaction
Qu’est-ce qui vous a poussé à entrer dans la police ?
Je suis né en France, dans le Val-de-Marne. À deux ans, je suis parti vivre au Mali. J’y ai vécu treize ans. Avant de m’engager durant trois ans dans la Marine nationale, j’ai obtenu un bac pro. Je ne voulais pas faire de longues études. À l’issue de mon contrat dans l’Armée, je voulais prendre une année sabbatique mais l’un de mes oncles m’a parlé de la Police nationale. J’ai passé le concours de gardien de la paix en 1999.
Cela fait bientôt 22 ans que je suis dans la police. J’ai été en poste en région parisienne à la sécurité publique (Police Secours), à la brigade anti-criminalité, au 36 quai des Orfèvres à la brigade des stups, au Service départemental de la police judiciaire de Seine-Saint-Denis. Je suis d’ailleurs intervenu sur les attentats du 13 novembre 2015 et sur l’assaut du 18 novembre 2015 à Saint-Denis. Je suis actuellement en poste à la Direction de la coopération internationale.
Pourquoi être policier ? Pour être utile aux autres, cela fait partie de mon éducation. J’ai toujours voulu venir en aide aux plus démunis, aux personnes qui sont en détresse. C’est mon leitmotiv. Exercer dans la Marine nationale m’a appris les valeurs républicaines, le patriotisme. Nous sommes des femmes et des hommes qui voulons protéger une nation.
Le racisme est-il un phénomène auquel vous êtes ou avez été régulièrement confronté dans l’exercice de vos fonctions ?
Oui, je l’ai vécu dans l’exercice de mes fonctions à titre personnel. Dans la police, j’ai été victime une fois du comportement raciste d’un « collègue ». Ce n’était pas continuel mais une remarque qui a été faite et que je n’ai pas laissé passer. J’ai dénoncé ces agissements auprès de la hiérarchie. Je n’ai jamais accepté d’être ramené à mon origine ou à ma couleur de peau. La hiérarchie a réagi rapidement car un comportement semblable, qui est inacceptable, ne doit pas être tu. La personne a été sanctionnée et virée du service. Lors de mes prises de parole, j’invite d’ailleurs, lorsque l’on est témoin ou victime de racisme au sein de l’institution, à parler. Quoi qu’on pense, il y a des sanctions qui sont prises.
Lors de mes missions sur le terrain, il m’est arrivé d’être confronté à une « double peine », à des individus qui, en raison de la même couleur de peau, me fassent des reproches du type « comment se fait-il que tu contrôles tes frères ? », « tu es un traître », « un vendu », « un nègre de maison ». Quelqu’un issu de l’immigration, comme vous, accepte mal que vous puissiez être un policier.
Certains veulent voir dans ce qu’ils nomment la « violence policière » l’expression même d’un « racisme systémique » ? Que vous inspire l’une et l’autre de ces expressions ?
Certains pensent que l’institution « police » fabrique des policiers racistes. C’est faux. Je rappelle que le racisme est un fléau qui est dans notre société, et nous, les policiers, nous sommes à l’image de la société. Aucune profession n’est épargnée par ce phénomène mais, pour autant, il ne faut pas dire que la police française est raciste. Ce n’est pas le cas. Le racisme c’est une chose individuelle et c’est cela qu’il faut dénoncer et combattre. C’est le devoir de l’administration d’être vigilante et ceux qui la composent ne doivent plus se taire ou se résoudre à l’omerta. Il faut parler.
Quant à la violence policière, il faut rappeler que la police a le monopole de la violence légitime qui est régi par la loi, encadré strictement par le code de procédure pénal. Dès lors que les violences sont illégitimes, on sort de notre cadre déontologique. Voilà la nuance. En ce qui concerne ce que l’on appelle le délit de faciès, il faut savoir que l’État ne fabrique pas des policiers racistes. Aucun policier ne se lève le matin en se disant « je vais aller contrôler des noirs et des Arabes ».
Lorsque l’on parle des contrôles sur cette partie de la population, il faut souligner que lors des déplacements dans les quartiers dits sensibles où il y a un fort taux d’immigrés, ce n’est pas dû au fait de la police, c’est en raison du parcage social. Des quartiers ont été ghettoïsés avec la présence de fortes communautés venues du Maghreb, de l’Afrique de l’Ouest notamment et, forcément, lorsque vous allez contrôler, vous allez retrouver cette population. Statistiquement il est logique que cela se passe ainsi. Lors de nos contrôles, en tant que policiers, il faut aussi faire preuve de discernement et de nuances.
Pensez-vous que votre propre parole médiatique puisse contribuer à changer certains regards portés sur l’institution ?
En prenant la parole dans les médias, sur mon compte Twitter, j’essaie de faire les choses humblement. Il est temps que l’on puisse vraiment parler avec le cœur à la population et solidifier le lien entre la police et les citoyens. La confiance n’est pas cassée mais cela reste fragile. À mon niveau, je veux apporter un discours – dirons-nous – d’équilibriste, sans nier les problématiques qui sont réelles dans notre métier mais je ne veux pas aller dans l’essentialisation, la catégorisation. Je veux expliquer ce qu’est notre police républicaine, avec pédagogie. Le dialogue est la meilleure des armes, avant la répression.
« Nègre de service » ou « de maison », est-ce à vos yeux une attaque « politique » ou purement et simplement du racisme ?
Je pense que c’est un tout, politique et raciste. Ceux qui essaient d’y trouver une explication se fourvoient. Mes prises de positions ou ma parole provoquent immédiatement un déchaînement de haine. C’est d’une violence sans nom et j’y suis confronté tous les jours. Pour ceux qui ne me connaissent pas, il leur suffit juste de taper mon nom sur les réseaux sociaux et ils comprendront. Pour autant, mes convictions et mon abnégation ne changent pas parce que je reste déterminé par le bien-fondé de mes positions médiatiques. Je ne détiens pas toutes les vérités mais j’ai des convictions.
Les attaques dont vous êtes victime sur les réseaux sociaux trouvent-elles un prolongement dans la réalité ?
J’insiste sur le fait que l’anonymat n’existe pas sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui les réseaux sociaux sont devenus un déversoir de haine démocratisé. Ce que les gens ne vous disent pas en face, ils le font sur ces réseaux. Les conséquences peuvent être gravissimes, comme le montre l’affaire Mila. Dès que vous émettez une opinion, au lieu d’argumenter et d’échanger, ceux qui ne sont pas d’accord en viennent aux insultes, au cyberharcèlement, à des raids numériques pour dénigrer votre parole. Je reçois quotidiennement des menaces de mort du fait de ma fonction, des insultes racistes.
Dans la « réalité », je rencontre des personnes bienveillantes et même des personnes qui ne sont pas d’accord avec moi avec lesquelles j’ai pu discuter et qui m’ont même dit : « Je ne vous pensais pas comme ça ».
Les réseaux sociaux, est-ce le meilleur endroit pour faire de la pédagogie ? Faut-il y rester ?
Il y a du bon et du mauvais sur les réseaux sociaux. Malheureusement c’est souvent biaisé par l’émotionnel qui ne permet pas de s’informer, de réfléchir, d’analyser correctement une situation ou des propos. Nos jeunes s’informent beaucoup aujourd’hui par ce biais. Ils ne vont pas chercher le factuel, l’information brute mais ils se dirigent vers quelque chose qui est hyper délayé, brouillé, instantané. Ils le prennent comme une « info vraie ». Ils fabriquent une opinion qui est malheureusement faussée et cela fait peur. Il est nécessaire de faire encore beaucoup de pédagogie. On peut avoir l’impression qu’il s’agit du tonneau des Danaïdes mais je reste tout de même optimiste. Même si l’on m’insulte, si l’on me dénigre régulièrement, je reste respectueux envers chacun car j’estime que le dialogue et la pédagogie priment.