Par Alain Barbanel, journaliste
La date de sortie de son Manifeste contre le terrorisme islamiste n’est pas le fruit du hasard puisqu’il paraît au moment même où se déroule le procès historique des attentats du 13 novembre 2015. À la violence et à l’obscurantisme, Chems-Eddine Hafiz répond par un discours humaniste, prônant le dialogue et défendant des valeurs universalistes et progressistes. Depuis sa nomination à la tête de la Grande Mosquée de Paris en janvier 2020, cet avocat au barreau de Paris plaide pour les Lumières confrontées aux ténèbres et se bat au quotidien contre le séparatisme menaçant. « Le monde musulman nous observe, balloté entre deux idées contradictoires, écrit-il. D’une part, des prosélytes guerriers dépeignant une France laide et cruelle qui malmènerait ses musulmans. D’autre part, une réalité méconnue ou niée, celle d’un islam ayant toute sa place sur le territoire de la République. » Au centre de sa réflexion, le recteur pose une question essentielle afin de désamorcer à la fois les tentations radicales et les discours antimusulmans : l’islam engendre-t-il la violence ?
Les imams, acteurs incontournables
Chems-Eddine Hafiz s’est entouré de près de 200 imams pour réfléchir à la manière de riposter sur le terrain à ces idées radicales. « L’extrémisme, à ne pas en douter, s’alimente aussi de nos silences, de nos renoncements et de nos lâchetés », constate-t-il. Et d’ajouter : « Les préjugés négatifs contre l’islam sont aussi, le plus souvent, la conséquence du refus de la majorité de dénoncer ouvertement et clairement l’extrémisme. Il est temps d’y remédier. » Selon lui, la solution passe par la relecture des textes fondamentaux de l’islam et « une explication apaisée et débarrassée des éructations abusives d’individus haineux ». Dans ce combat, le recteur veut convoquer les imams qui sont non seulement les « acteurs incontournables » mais aussi « l’épine dorsale de cette œuvre majeure qui nous attend ». Autrement dit, dans ce long processus de prévention à la radicalisation, il veut s’appuyer sur « ces hommes courageux qui poursuivent leur mission et découvrent avec un grand bonheur les similitudes entre les valeurs de l’islam et celles de la République ». « S’élever à un niveau supérieur, c’est donc pouvoir discuter des valeurs universelles comme la liberté de conscience », poursuit-il. Et de citer le verset 256 de la sourate II : « Point de contrainte en religion. »
Le chemin vers les Lumières est parsemé d’embûches
Selon Chems-Eddine Hafiz, c’est donc aux musulmans eux-mêmes de jeter les bases d’un islam des Lumières dans le respect des principes de la République et de la laïcité. « Chercher à s’accommoder de l’islam politique, c’est s’exposer irrémédiablement au terrorisme islamiste », affirme le recteur de la Grande Mosquée de Paris qui rappelle les événements sanglants de triste mémoire qui ont marqué l’Algérie il y a trente ans où l’on « décapitait au nom de Dieu ! ».
Mais le chemin vers la lumière est parsemé d’embûches. L’on garde en mémoire la téméraire « charte de l’islam de France » élaborée par les imams rattachés à la Grande Mosquée de Paris mais rejeté par la majorité des milieux islamistes. Et pourtant, souligne-t-il, « les musulmans sont majoritairement heureux de vivre en France et fiers d’appartenir à cette grande nation ». Néanmoins, pour mener ce combat, l’État doit aussi prendre sa part en se dotant de moyens plus efficaces pour lutter notamment contre le cyber-harcèlement dont a été victime notamment Mila — qui a été reçue par le recteur à la Grande Mosquée de Paris en signe de solidarité — et lutter contre l’ignorance et l’intolérance par l’éducation.
Un déni entretenu à des fins clientélistes
Autre obstacle à lever, et non des moindres, évoqué dans ce manifeste : « Nous ne pouvons pas, en tant que musulmans, nous confiner dans le discours victimaire et faire mine de ne pas voir que certains de nos coreligionnaires continuent de menacer et de tuer au nom de notre religion », explique Chems-Eddine Hafiz. Ce déni entretenu à des fins clientélistes par une certaine classe politique et relayé par des idéologies « aveugles » est contre-productif et ne saurait constituer un soutien à la grande majorité des Français de confession musulmane. « Le résultat de cette approche politique opportuniste se traduit aujourd’hui par l’introduction de l’islam dans la logique électorale, ce qui pervertit le jeu démocratique. L’amalgame entretenu génère souvent plus un malaise qui profite aux extrémistes », rappelle Chems-Eddine Hafiz tout en lançant ce cri du cœur : « Arrêtez d’instrumentaliser l’islam ! »
Beaucoup seraient bien inspirés de lire ce manifeste…