Pépito Matéo, comédien et conteur
Carte blanche parue dans Le DDV n° 687, été 2022
Moi, tout petit déjà, on voulait me faire parler…
On me mettait des mots dans le biberon, des mots-laids longue conversation. Et pis tête, épithète, épithète…
Je tétais la grammaire comme une vache espagnole.
Oui, parce que mon père était espagnol. Mais ça n’était pas facile car entre les mots français et les mots espagnols, il y a des frères ennemis.
Par exemple, le mot constipado veut dire enrhumé et resfriado, ça veut dire refroidi. Mais en français si tu es refroidi c’est que tu es mort…
Mais el amor en espagnol, c’est l’amour, y’a de quoi y perdre son latrin.
Quand j’étais enrhumé et qu’on me disait : « Tu tienes un gato por la garganta ! » ( « T’as un chat dans la gorge ! » Parce que le chat en espagnol ça se dit gato) Moi, je me disais : si j’ai un gâteau dans la gorge, je le mange.
Mais manger, en espagnol, ça se dit comer. Et pour moi, commère, c’était une vieille pipelette qui disait du mal de tout le monde. Quand tu la voyais, il valait mieux partir…
Mais partir, en espagnol, c’est faire deux parts, c’est rompre. En français, si on dit « rompez ! », ça signifie plutôt : « vous pouvez partir ! » Mais « partir », en espagnol, ça se dit salir. Tu ne vas quand même pas salir avant de partir…
Bref, quand j’étais enfant, je m’amusais beaucoup des quiproquos et des malentendus que cela engendrait de traduire à l’oreille.
Mon père avait des problèmes avec les V et les B… Ce qui fait que chez nous c’était les « bâches » qui donnaient du lait et on mangeait souvent du « veuf » à la maison…
J’ai retrouvé par la suite, de manière plus aiguë, les difficultés de compréhension de la langue française auprès des détenus lors d’ateliers que j’ai pu mener en prison et aussi auprès des demandeurs d’asile.
Pour eux, la question de la compréhension est vitale.
Or la langue française dans toute sa richesse est très complexe.
Je cite dans mon spectacle ce jeune Afghan qui voulait envoyer un massage à Miami… ou plutôt un message à « ma amie ». En réalité, il désirait faire un texto à une amie, mais il ne pouvait pas dire « mon » amie puisque c’était une femme.
Moi je lui dis : « Je peux te rendre service ! » Mais, cette fois, il ne comprend pas pourquoi je veux lui rendre quelque chose alors qu’il ne m’a rien donné.
« Non, je lui dis, je peux t’aider ! » Il me dit merci. Et moi je lui réponds : « Je t’en prie ! » Et, cette fois, il me demande quelle est ma religion car il pense que je vais prier… Alors, je lui explique que « je t’en prie » signifie plutôt : « Y’a pas de soucis ! »
Mais lui me répond : « Vous, les Français, vous dites toujours : y’a pas de soucis, y’a pas de soucis… mais les soucis, y’en a beaucoup ! »
Il est difficile de s’entendre. Mais pour s’entendre, il faut avoir le désir de se rencontrer, et il paraît que pour se rencontrer, il faut que chacun fasse 75 % du chemin. C’est une fraternité qui nous engage pour l’avenir comme dans une histoire qu’on partage.
Quand on écoute une histoire ensemble, on ne voit pas forcément les choses de la même façon, mais on fait le voyage côte à côte. C’est cela qui est important : la volonté de rencontre et de réciprocité.
Et puis, je vais vous sucrer l’oreille, comme on dit au Cameroun : la chance du français dans l’avenir, c’est d’être parlé de mille façons différentes dans le monde entier !
Alors, il faut arrêter de bêtiser, comme on dit en Haïti, ni insolenter les autres, sinon ça risque de réciproquer dans le voisinage comme on dit au Burundi et au Rwanda. Et d’ailleurs, comme on dit au Burkina : « Si tu prends le chemin de j’m’en fous, tu risques d’arriver au village de si j’avais su ! »
À bon entendeur, salut !
Pépito Matéo a publié La leçon de français, Paris, Paradox, 2019.
Pour connaître l’actualité du comédien et conteur, on peut se reporter à son site internet : pepitomateo.fr