Par Alain Barbanel, journaliste
Le sport de haut niveau et la politique font rarement bon ménage. Les Jeux Olympiques et paralympiques qui viennent de s’achever en ont une nouvelle fois administré la preuve. La guerre entre Israël et le Hamas s’est en effet invitée dans les épreuves. Quelques jours avant le démarrage des Jeux Olympiques de Paris, le régime de Téhéran avait demandé qu’Israël soit banni des épreuves. Et pendant les jeux, le judoka algérien Messaoud Dris, sous la pression supposée de son gouvernement, s’était volontairement disqualifié à la pesée, pour ne pas rencontrer l’Israélien Tohar Butbul. Le film Tatami vient donc à point nommé pour illustrer cette actualité.
Le long-métrage se déroule durant une coupe du monde de judo en Géorgie, à Tbilissi. Il met en scène deux protagonistes, une judokate, déterminée et entraînée de longue date pour gagner ce circuit, et sa coach, Maryam, infatigable de conseils avisés. Mais les deux sportives de haut niveau ne viennent pas de n’importe quel pays sur les 67 pays sélectionnés. Elles portent le voile et sont iraniennes. Les combats s’enchaînent et Leila Hosseini, la judokate, au-delà des espoirs de Maryam, ex-championne de judo, gagne tous les rounds jusqu’à envisager la plus haute marche du podium. Mais avant, il faut encore affronter les meilleures de sa catégorie : passe pour le Géorgienne, la Française, l’Australienne, mais quand la perspective d’un combat contre une athlète israélienne se précise, le tatami se transforme en enjeu géopolitique.
Pressions et menaces de Téhéran
Maryam reçoit d’abord quelques coups de fils, d’abord espacés puis de plus en plus insistants du président de la Fédération de judo de la République islamique. « Il est hors de question que Leila rencontre l’Israélienne, c’est interdit par les lois du pays, tu dois la dissuader. On compte sur toi ! » martèle-t-il. « C’est impossible, Leila est au mieux de sa forme, elle peut gagner et le fera pour le sport, pour sa famille, pour le pays… », lui répond la coach qui fulmine et finit par raccrocher au nez de son interlocuteur.
Le tournoi se poursuit. Leila est au sommet de son art sous l’œil admiratif mais de plus en plus inquiet de Maryam qui feint d’ignorer les appels et les sms de la fédération. Comment doit-elle agir ? Doit-elle en parler à sa championne sur le chemin de la gloire et au meilleur de sa concentration ?
Flash-back. Leila a une vie de famille, elle est mariée à un homme progressiste en rupture avec le régime des gardiens de la Révolution et rêve de voir sa femme accéder à son rêve de championne du monde. Ils ont un jeune fils. Lui et ses proches assistent en direct à la coupe du monde. C’est la liesse et à chaque round gagné, on hurle sa joie et l’on trinque. Un îlot de liberté dans un régime totalitaire. Ce sera éphémère. Leila parvient en quart de finale, et l’Israélienne est toujours qualifiée.
Le régime s’affole. Le tatami devient brûlant. Il faut que l’affront cesse. Leila doit quitter le tournoi. Après la fédération, c’est au tour des officiels de s’en mêler, Maryam est assaillie d’appels. C’est aux conseillers personnels du Guide suprême de la République islamique qu’elle doit à présent rendre des comptes. Ce ne sont plus des ordres mais des menaces qui sont proférées. Qui de cette confrontation sortira vainqueur ? Le régime de Khamenei ou la championne de judo ? On laissera au spectateur le soin de découvrir la chute.
Le régime de Téhéran, principal adversaire
L’événement sportif se transforme peu à peu en thriller politique. Le film tourné en noir et blanc, qui peut surprendre au début, prend alors tout son sens. Le sport, qui devrait être sanctuarisé et protégé de toute influence politique, devient un lieu d’enjeu de pouvoir et de règlements de compte violents. Ce n’est plus le judo qui est brutal mais les propos des affidés de l’État islamique. Tatami devient un huit-clos irrespirable. Et la bichromie étouffante. Davantage que les clés d’étranglement subis par les athlètes. Maryam panique. « Qu’est-ce que je dois faire ? » s’interroge t-elle, la peur au ventre. Doit-elle faire cesser les combats de sa protégée et revivre comme un jour sans fin sa propre histoire lors des Jeux de Séoul où, pour les mêmes circonstances, elle avait dû simuler une blessure pour ne pas avoir à affronter une judokate israélienne ?
D’abord, sonnée par le danger qui la menace, la championne ne jette pas l’éponge, et reprend même ses esprits de plus belle, pressée de gagner. Elle faiblit mais ne rompt pas, évacue sa rage sur un miroir qu’elle casse d’un coup de tête, éponge la blessure et repart au combat, plus motivée que jamais. On devine que sa prochaine adversaire ne sera pas qu’une judokate, mais également la République islamique d’Iran, son pays, pour lequel elle se bat sur le tatami. Sous les encouragements du public et de Maryam, Leila enchaîne les prises, reprend son souffle, ignorant les pressions, redouble de précisions dans ses gestes comme si les menaces lui donnaient ce regain d’adrénaline dont elle a besoin pour gagner le titre mondial. Comme un bras d’honneur qu’elle adresse aux autorités de son pays, elle attaque un nouveau round… en arrachant son voile. Une séquence qui renvoie au mouvement féministe de protestation sans précédent en Iran femme, vie liberté né dans la foulée de l’assassinat le 16 septembre 2022 de Masha Amini, sous les coups de la police des mœurs parce qu’elle n’avait pas porté son voile « convenablement ».
L’actualité des Jeux Olympiques percutée
Plus qu’un long métrage inspiré de plusieurs histoires vraies, Tatami, au-delà des symboles, percute l’actualité du moment. Suffisamment rare pour être mentionné, le film a été réalisé par un Israélien, Guy Nattiv, auteur de cinq longs métrages et résidant aux États-Unis, et une Iranienne, Zar Amir, qui incarne aussi Maryam, la coach, réfugiée en France depuis 2006, consacrée en 2022 pour son interprétation dans Les Nuits de Mashhad. Une association dont on saluera la portée symbolique dans le contexte de guerre qui oppose Israël à « l’axe de résistance » conduit par l’Iran. Le sport n’est jamais éloigné de l’affichage politique et il devient trop souvent une tribune idéologique. Tatami, comme une piqûre de rappel, a le mérite de nous confronter à cette réalité.
Tatami
Sortie : 4 septembre 2024 | 1h 43min
De Zar Amir Ebrahimi, Guy Nattiv
Avec Arienne Mandi, Zar Amir Ebrahimi, Ash Goldeh