Galina Elbaz, avocate au barreau de Paris, présidente de la commission Prévention et lutte contre les discriminations de la Licra
Cela fait des années maintenant, depuis que Marine Le Pen a accédé au deuxième tour de l’élection présidentielle, en avril 2017, que nous sommes soumis à l’injonction grandissante de sa dédiabolisation, sous peine de passer par certains de ses partisans pour de doux rêveurs, des utopistes peu en phase avec la réalité des vrais gens.
« Non, le Rassemblement national de Marine Le Pen fille, ce n’est pas le Front national de Jean Marie Le Pen ! » clament certains. « Mais voyons, elle n’est ni raciste ni antisémite. L’as-tu entendu dérailler comme le faisait son père avec des excès tels que “Durafour crématoire” ou ses sorties sur “Les chambres à gaz sont un détail de la Seconde Guerre mondiale” »,rétorquent d’autres « Mais, enfin, l’extrême droite n’a plus rien à voir avec les théories nauséabondes et racistes de Vichy ou de la période coloniale » ; « Regarde, lis, écoute ce que dit Marine Le Pen, elle n’est même pas classable à droite, et encore même à l’extrême droite, on peut même dire que c’est la seule qui représente les couches populaires, les petites gens, les pauvres, les ruraux »,relativisent enfin certains électeurs indécis.
La candidate des pauvres ?
Face à ces dénégations du caractère d’extrême droite de la candidate Marine Le Pen par ceux qui sont tentés de lui accorder leur vote, pour faire cesser, croient-ils, des situations de difficultés économiques et sociales dont ils souffrent objectivement, force est de s’interroger : Marine Le Pen et son programme sont-ils d’extrême droite ? Marine Le Pen est-elle la candidate des pauvres qui pourfendra les inégalités sociales, en chassant les étrangers du territoire français ?
Sommés de se rendre à cette conclusion que le RN n’aurait idéologiquement plus rien à voir avec le FN, les dubitatifs sont apostrophés non sans une certaine agressivité ou avec une forme de parole condescendante au prétexte que leur opposition n’est qu’une conséquence de leur ignorance de la pauvreté et des couches sociales défavorisées. Il est de plus en plus fréquent de se voir rétorquer, dans ces inlassables débats visant à donner une assise sociale et républicaine au programme du Rassemblement national, qu’en réalité, les opposants à la clairvoyance de la candidate du RN sont enferrés dans leur mépris de classe, ce qui les rend incapables de comprendre les vrais enjeux de société. La recherche de solutions aux inégalités sociales est ainsi confisquée.
Les opposants absolus à la préférence nationale (rebaptisée « priorité nationale ») et à la thèse du grand remplacement identitaire – qui restent le socle programmatique de la candidate Marine Le Pen – n’osent même plus prononcer leur intime réflexion à l’écoute des propositions de la candidate. Systématiquement renvoyés dans leurs buts, par des fins de non-recevoir, telles que leur ignorance supposée de l’expérience des populations en souffrance, on leur rétorque qu’ils ne les fréquenteraient pas, ne les écouteraient pas, ne les rencontreraient pas suffisamment pour comprendre leur ras-le bol. Ils sont priés de s’opposer en silence, et à tout le moins de supprimer les mots dépassés de « discrimination » ou encore de « racisme » de leur discours et de ne pas déranger avec un antiracisme perçu comme élitiste et anachronique !
Les principes d’égalité et de non-discrimination bafoués
Pourtant la vérité est là, les programmes sont écrits, les faits sont têtus : tout dans le programme de madame Le Pen – consultable sur son site de campagne –permet d’affirmer qu’elle est un danger pour nos valeurs républicaines d’égalité, de liberté et de fraternité et pour nos acquis constitutionnels en matière de droit de la non-discrimination. Le programme de la candidate du Rassemblement national inscrit la « priorité nationale » et la discrimination légale, d’une part, comme la clef de voûte de son action politique, et, d’autre part, comme solution à tous les malheurs des Français.
Évidemment, le programme de Marine Le Pen est anticonstitutionnel, puisque le principe d’égalité et de non-discrimination est inscrit au cœur de la Constitution de la Ve République, dans le préambule de la Constitution de 1946, qui énonce une série de droits économiques et sociaux protégeant les Français et les étrangers résidant en France, à l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, que nous avons ratifiée.
Évidemment, le programme de Marine Le Pen est mensonger.
Parce que ce ne sont pas les mesures de préférence ou de priorité nationale qui rendent du pouvoir d’achat aux Français, mais un projet de relance économique étudié, qui n’a pas été travaillé, comme l’ont révélé les faiblesses de ses mesures fiscales développées dans le débat de l’entre-deux-tours. Parce qu’il faut cesser de désigner les étrangers résidant en France comme des boucs-émissaires – et donc des cibles – de la crise économique et du déclassement social que vivent certains citoyens. Contrairement aux contre-vérités de la propagande politique du Rassemblement national, les étrangers présents sur notre sol, et qui travaillent pour la majorité d’entre eux, ne coûtent pas économiquement à la France, comme l’a parfaitement montré un rapport récent rendu public le 28 octobre 2021 par l’OCDE, dont le Rassemblement national feint de ne pas connaître les conclusions : « Dans tous les pays, la contribution des immigrés sous la forme d’impôts et de cotisations est supérieure aux dépenses que les pays consacrent à leur protection sociale, leur santé et leur éducation », est-il écrit dans ce rapport qui porte sur ses vingt-cinq États membres pour la période 2006-2018.
L’inégalité de traitement comme mesure phare
Parmi les 22 mesures du programme présidentiel du RN pourtant, la mesure centrale est la remise en cause du principe d’égalité de traitement entre les Français et les étrangers et donc de l’article Ier de la Constitution de 1958. Une mesure à laquelle le parti de Marine Le Pen accorde l’essentiel de ses développements dans un livret de 46 pages, là où les autres mesures en matière de santé, d’écologie, d’éducation, de justice ou encore de sécurité ne sont traitées que dans des livrets plus sommaires d’une quinzaine de pages.
Sans mystère, et sans surprise, en dépit des dénégations sur la mutation supposément républicaine du RN, le socle des remèdes au marasme des Français est dans son programme inscrit dans la priorité nationale. Cette priorité nationale a pour objectif d’empêcher à l’avenir les enfants nés en France de parents étrangers de bénéficier de la nationalité par droit du sol – un acquis législatif remontant à 1889 – et d’empêcher les étrangers mariés à des Français d’acquérir la nationalité française. Cette priorité nationale vise également à donner la priorité aux Français sur les étrangers dans l’accès à l’emploi et aux logements sociaux, à réserver les aides sociales aux Français et à en priver les extra-Européens, mais aussi les Européens.
L’extension du domaine de la priorité nationale aux aides sociales, dont seraient également exclus les Européens, tout comme une série de mesures visant à sortir la France des traités européens en matière d’asile, démontrent qu’en dépit des propos contraires de Marine Le Pen, la candidate envisage par diverses mesures de sortir progressivement d’une série d’accords européens que nous avons ratifiés. Immanquablement, ce positionnement nous exposerait à des sanctions pour carence dans le respect de nos obligations conventionnelles.
Un « coup d’État constitutionnel »
Au plan légal, c’est tout notre dispositif constitutionnel qui serait violé par ce que le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau nomme « un coup d’État constitutionnel », par le programme du Rassemblement national, si son projet de constitutionnalisation de la priorité nationale était entériné par référendum. En effet, Marine Le Pen, qui est juriste de formation, ne peut ignorer que dans notre État de droit – et c’est heureux ! –, la révision constitutionnelle de la portée qu’elle envisage, à savoir l’instauration de différences de traitement entre les personnes, selon leur nationalité, dans l’accès à une série de droits fondamentaux, ne peut se faire qu’en passant par le vote à la majorité de l’Assemblée nationale et du Sénat (article 89 de la Constitution).
Ce n’est pas parce que dans le débat du mercredi 20 avril la candidate du Rassemblement national a fait le choix habile (pour séduire les électeurs indécis proche de la France insoumise) de rester relativement taiseuse sur la mesure centrale de son programme, que cette mesure n’existe pas et ne traduit pas l’essence même de ce qu’est le Rassemblement national. À savoir, un parti politique à l’histoire, au présent et au futur xénophobes. Doublé d’un parti autoritaire, qui entend se passer de nos contrepouvoirs institutionnels pour imposer des lois iniques et une discrimination d’État s’il arrivait au pouvoir.
En dissimulant à la fois la mesure centrale de sa politique qu’est la priorité nationale et son anticonstitutionnalité, tout en faisant croire aux Français qui souffrent économiquement que bouter les étrangers hors de France par une série de mesures discriminatoires leur ramènera le bonheur et l’équilibre économique, Marine Le Pen se rend coupable d’un double mensonge.
Et cela n’est pas pardonnable.
LIRE AUSSI Marine Le Pen : le ressentiment comme ultime cartouche
SOUTENEZ LE DDV : ABONNEZ-VOUS À L’UNIVERSALISME
Dossier « Faire taire la haine », consacré à la loi contre le racisme du 1er juillet 1972, dans le n° 686 printemps 2022
Achat au numéro : 9,90 euros
Abonnement d’un an : 34,90 euros