Dr. Stephanie Courouble-Share, Historienne du négationnisme, docteure en histoire contemporaine, ISGAP, New-York
Le négationnisme, terme crée en 1987, par l’historien Henry Rousso, signifie la négation de la réalité de la Shoah. Le terme s’emploie par extension à la négation d’autres génocides, tels ceux des Arméniens, des Tutsi. La rhétorique des négationnistes suit généralement une séquence bien établie : d’abord, le déni pur et simple du crime, suivi de l’élaboration d’un récit fictif, puis des appels à de futurs actes criminels. Cette méthode vise à déformer la réalité pour servir un agenda particulier : blanchir le nazisme.
Le négationnisme se distingue des autres formes de déni et de désinformation par sa structure « institutionnelle ». Il implique des organisations, des associations, ainsi que des maisons d’édition dédiées. Ces caractéristiques spécifiques font du négationnisme un phénomène unique ayant perduré pendant plusieurs décennies, le distinguant ainsi des autres tentatives de falsification de l’histoire qui ne bénéficient pas toujours d’une telle organisation et d’une telle pérennité. Cette distinction est importante pour appréhender la gravité du négationnisme dans son contexte historique.
Qualifier tout déni de crime de « négationnisme » réduit la portée du terme et affaiblit la lutte contre le négationnisme, le vrai. Pour faire simple, si tout est négationnisme, plus rien ne l’est.
Qualifier tout déni de crime de « négationnisme » réduit la portée du terme et affaiblit la lutte contre le négationnisme, le vrai. Pour faire simple, si tout est négationnisme, plus rien ne l’est. En revanche, il est tout aussi crucial de condamner les diverses formes de manipulation et de désinformation liées aux autres crimes.
Le dénialisme et la dénégation du terrorisme
En anglais, le négationnisme est désigné par le terme « Holocaust denial ». Pour traduire au mieux ce déni sous toutes ses formes, on utilise alors le mot « dénialisme ». Bien que ce terme soit moins esthétique et moins chargé émotionnellement, il devrait être privilégié. Il est d’ailleurs défini ainsi dans Wikipedia 1Un seul bémol à l’article de Wikipédia sur le « Dénialisme », l’utilisation du terme « négationnisme » pour qualifier d’autres crimes que des génocides. Cf. mon dernier livre à ce sujet, Le négationnisme : Histoire, concepts et enjeux internationaux, Eyrolles, 2023..
Le Dr. Lev Topor a récemment introduit le terme de « Terrorism denial » dans un article pour décrire les tentatives visant à nier les crimes du Hamas. On pourrait le traduire par une « dénégation du terrorisme ». Cette tendance à nier le terrorisme n’est pas nouvelle ; elle constitue le ressort de nombreuses théories du complot. La tuerie de l’école primaire de Sandy Hook (Connecticut), le 14 décembre 2012 en fournit une illustration dans le cadre de laquelle des conspirationnistes avaient nié le massacre des enfants.
Quelques heures après cette tuerie, Alex Jones, figure du complotisme d’extrême droite aux États-Unis, accusait déjà les familles d’être les acteurs d’un canular, suggérant que leurs enfants étaient encore en vie. D’ailleurs, en 2018, les parents de plusieurs enfants tués lors du carnage de Sandy Hook ont poursuivi Jones et d’autres auteurs de vidéos conspirationnistes, pour diffamation, les accusant de s’être engagés dans une campagne de « fausses affirmations, cruelles et dangereuses ». Dix ans après Sandy Hook, Jones a été condamné pour diffamation dans le procès intenté par les familles.
Faire front contre les falsifications des crimes
Depuis le pogrom du 7 octobre 2023 perpétré par le Hamas, on observe une dénégation d’un crime contre l’humanité, et ipso facto la diffamation des familles qui auraient menti au sujet des crimes commis sur leurs proches. Ces familles qui endurent un calvaire auraient dû être l’objet d’un soutien large et inconditionnel. À l’échelle mondiale, sur les réseaux sociaux, voire dans les arènes politiques et les manifestations en faveur des Palestiniens, ces familles n’auraient jamais dû entendre des propos qui minimisent, nient les massacres du Hamas, ou qui mettent sur le même plan Israël en tant qu’État démocratique – avec toutes ses imperfections et ses dérives – et le Hamas en tant qu’organisation terroriste.
Les familles qui endurent aujourd’hui un calvaire n’auraient jamais dû entendre des propos qui minimisent, nient les massacres du Hamas, ou qui mettent sur le même plan Israël en tant qu’État démocratique – avec toutes ses imperfections et ses dérives – et le Hamas en tant qu’organisation terroriste.
Face à l’urgence de la situation et pour contrer la propagation intense dans les médias de la négation des crimes du Hamas, des journalistes du monde entier ont été invités à visionner l’impensable par l’armée israélienne : des images filmées par les auteurs des actes, ainsi que par les caméras de surveillance autour des kibboutz et même à l’intérieur des maisons où les massacres ont été perpétrés. En l’espace de quelques heures, ces journalistes se sont transformés en enquêteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Si nous aspirons à la paix entre les Palestiniens et les Israéliens, il est impératif que la communauté internationale fasse front contre les multiples falsifications des crimes du Hamas, ainsi que contre le terrorisme en général. La condamnation de ces actes et de leur négation doit être sans équivoque, même au plan judiciaire si nécessaire.
Qualifier de manière adéquate le déni des crimes du Hamas est essentiel pour comprendre et condamner cette désinformation. Le terme « négationnisme » rendant spécifiquement compte du déni de la Shoah, d’autres appellations telles que le « dénialisme » ou la « dénégation du terrorisme » peuvent mieux rendre compte de la gravité de ces actes. Les termes doivent être choisis avec soin afin de ne pas affaiblir la portée de chaque concept, ce qui doit contribuer à une compréhension plus nuancée et approfondie de ces faits épouvantables.
Stephanie Courouble-Share a récemment publié Les idées fausses ne meurent jamais… Le négationnisme, histoire d’un réseau international (Paris, Le Bord de l’eau, 2021) et, avec Gilles Karmasyn, Le négationnisme. Histoire, concepts et enjeux internationaux (Paris, Éditions Eyrolles, 2023).