Valérie Igounet, historienne
Article paru dans Le DDV n° 690, printemps 2023
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L’intrication du négationnisme et de l’idéologie d’extrême droite est une donnée fondamentale dans l’histoire du FN jusqu’aux années Marine Le Pen. La composition du parti lepéniste qui accueille notamment d’anciens collaborateurs l’explique en partie. Dès sa création, en octobre 1972, les différentes sensibilités du FN utilisent le négationnisme pour leur propagande. Pour elles, la réécriture de l’Histoire représente un véritable enjeu.
Un relais central du négationnisme au sein de l’extrême droite
Pendant les années 1970, les Groupes nationalistes révolutionnaires (GNR) créés et animés par François Duprat font figure de véritable matrice idéologique, à l’origine de la diffusion des thèses négationnistes et racistes, celles-ci provenant pour l’essentiel des réseaux internationaux néo-nazis. Jusqu’à son assassinat en mars 1978, François Duprat peut être considéré comme le pourvoyeur attitré de la propagande négationniste au sein de l’extrême droite française et internationale. Citant Robert Brasillach, Jean-Marie Le Pen évoque la mort de son compagnon en ces termes : « Ceux qui meurent peu après la trentaine ne sont pas des consolidateurs mais des fondateurs. Ces êtres disparaissent avant les autres, avant l’équilibre, avant leur propre réussite. Ils ne sont pas venus apporter au monde la paix mais l’épée1 « Les Obsèques de François Duprat », Rivarol, 30 mars 1978. » L’éloge funèbre publié en avril 1978 sous le titre « Hommage à François Duprat » dans Le National, l’organe de presse officiel du FN, s’apparente à une véritable tribune négationniste.
À partir du milieu des années 1980, le négationnisme fait partie des thèmes politiques du FN. Il est régulièrement activé par Jean-Marie Le Pen et quelques-uns de ses hommes. La succession de pseudo-dérapages du président du FN y participe tout comme ses récidives régulières et volontaires. Ses propos du 13 septembre 1987 au micro du Grand Jury RTL-Le Monde, qualifiant les chambres à gaz de « point de détail de la Seconde Guerre mondiale », ouvrent officiellement le bal. À partir de l’été 1989, l’antisémitisme devient un des thèmes réguliers de la propagande du FN. Il s’agit de montrer la « domination juive » en France afin de délégitimer le pouvoir politique.
Jean-Marie Le Pen tronque l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et mythifie la période de l’Occupation. Ses objectifs s’inscrivent dans la réhabilitation de Vichy et dans la négation des crimes du IIIe Reich. L’amalgame rhétorique du sionisme au nazisme parachève l’édifice négationniste. Si quelques membres du FN affichent ouvertement leur antisionisme pendant les années 1980, le FN ne se prononce pas ouvertement sur la politique israélienne. Il faut attendre les années 1985-1986, et la guerre du Golfe en 1990-1991, pour que le parti de Jean-Marie Le Pen affiche officiellement son soutien aux Palestiniens.
Une enquête de la Sofres publiée au printemps 1990 atteste alors la pénétration de l’antisémitisme au sein du parti d’extrême droite : 88 % des cadres du FN se déclarent « tout à fait d’accord » ou « plutôt d’accord » avec la phrase selon laquelle les « juifs ont trop de pouvoir en France »2Cf. Une enquête de la Sofres sur les cadres du FN. Le Monde, 8-9 avril 1990, p. 7..
Le « verrou » idéologique de la Shoah
Le FN a été l’unique parti politique français à prendre en compte les revendications des négationnistes dans son programme gouvernemental, à défendre « des libertés fondamentales d’enseignement, de recherche, d’entreprise, de travail, d’information » et à « garantir la liberté d’expression par l’abrogation des lois liberticides » – le terme « lois liberticides » visait bien sûr la loi du 1er juillet 1972 contre le racisme et la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, dite « loi Gayssot ».
Le FN a été l’unique parti politique français à prendre en compte les revendications des négationnistes dans son programme gouvernemental.
L’histoire écrite par les vainqueurs doit être remodelée et les chambres à gaz représentent un « verrou » idéologique à faire sauter. Fruits d’une stratégie politique, les appels antisémites doivent être considérés avant tout comme des signes en direction de l’électorat du FN et/ou du noyau dur du parti d’extrême droite. Des éditorialistes du FN, parmi lesquels l’ancien milicien François Brigneau et Martin Peltier, ancien journaliste au Quotidien de Paris, candidat du FN en Lot-et-Garonne aux élections législatives de 1993 et condamné pour contestation de crimes contre l’humanité, font du négationnisme un sujet récurrent de leurs chroniques. Car au-delà des jeux rhétoriques de Jean-Marie Le Pen, les chambres à gaz ne sont pas un détail : Martin Peltier écrit en 1998 dans National Hebdo qu’elles sont le « cœur du dispositif d’exclusion des nationaux – et c’est à cause de l’exclusion des nationaux que les Français sont écrasés d’impôts et livrés sans défense à l’invasion du tiers monde par des gouvernements criminels ». Bien plus, elles constituent selon lui la « clé du système ». L’éditorialiste l’exprime avec une grande clarté dans la suite de son article : « J’ai montré cent fois que l’exploitation de l’histoire judéo-centrée permet l’inclusion des communistes dans le jeu politique et l’exclusion des nationaux. (…) Mais cela va plus loin, plus profond, cela régit la conscience tout entière, et tout le champ politique. C’est le préjugé “antiraciste” qui empêche de rétablir l’ordre et de résoudre le problème de l’immigration. Mais le préjugé “antiraciste” ne garde lui-même son emprise sur les esprits que par une succession d’amalgames terroristes qui aboutissent à Hitler. En d’autres termes, nous devons tous comprendre, et faire comprendre aux Français, que tant que l’on n’aura pas débloqué l’affaire du détail, les banlieues continueront à flamber et la France à sombrer3Martin Peltier, « Ma semaine », National Hebdo, 15 janvier 1998, p. 2.».
Vers un parti dédiabolisé et normalisé
À partir du début des années 2000, l’association présidée par Marine Le Pen, Générations Le Pen, endosse le rôle de « casser l’image diabolisée du FN et de Jean-Marie Le Pen ». L’une de ses priorités s’inscrit dans le rapport entre le parti d’extrême droite et l’antisémitisme. Pour la génération des trentenaires, il est indispensable de l’inverser.
À l’occasion de la campagne présidentielle de 2007, Marine Le Pen, qui est directrice de campagne de Jean-Marie Le Pen, s’appuie sur des personnes extérieures au FN, loin d’être neutres sur le plan de l’antisémitisme, parmi lesquelles Alain Soral et Dieudonné M’Bala M’Bala.
Ce qui n’empêche pas Marine Le Pen d’aller à contre-courant de sa ligne de conduite affichée. Par exemple, à l’occasion de la campagne présidentielle de 2007, celle qui est directrice de campagne de Jean-Marie Le Pen s’appuie sur des personnes extérieures au FN, loin d’être neutres sur le plan de l’antisémitisme, parmi lesquelles Alain Soral et Dieudonné M’Bala M’Bala. Le président du FN n’hésite d’ailleurs pas à s’afficher au spectacle donné par Dieudonné au Zénith de Paris fin décembre 2008 à l’occasion duquel le pseudo-humoriste remet au négationniste Robert Faurisson le « prix de l’infréquentabilité » dans une mise en scène antisémite.
Dans un entretien accordé en décembre 2013, Louis Aliot, vice-président du FN, insistait sur le fait que la « dédiabolisation ne port[ait] que sur l’antisémitisme »4Valérie Igounet, Le Front national de 1972 à nos jours, Paris, Seuil, p. 420.. Il expliquait : « En distribuant des tracts, dans la rue, le seul plafond de verre que je voyais ce n’était pas l’immigration ni l’islam… D’autres sont pires que nous sur ces sujets-là. C’est l’antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous. Il n’y a que cela. À partir du moment où vous faites sauter ce verrou idéologique, vous libérez le reste. (…) Depuis que je la connais, Marine Le Pen est d’accord avec cela. Elle ne comprenait pas pourquoi et comment son père et les autres ne voyaient pas que c’était le verrou. Elle aussi avait une vie à l’extérieur, des amis qui étaient aux antipodes sur ces questions-là, des Le Gallou5Ancien cadre du FN, Jean-Yves Le Gallou a notamment signé, en 2010, une pétition pour l’abrogation de la loi Gayssot et la libération du négationniste Vincent Reynouard. et autres. C’est la chose à faire sauter. »
Dix ans après cet entretien avec celui qui est aujourd’hui maire de Perpignan et qui a remis, mi-octobre 2022, la médaille de la ville à Serge et Beate Klarsfeld, le RN pourrait bien être en passe de convaincre ses électeurs, et ce malgré des « dérapages » persistants chez ses militants, d’une identité politique exempte d’antisémitisme6Valérie Igounet, « Antisémitisme dans les coulisses du Rassemblement national », Le DDV n° 688, automne 2022..
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