La stratégie payante du RN auprès des jeunes

Valérie Igounet, historienne
Article paru dans Le DDV n°689, hiver 2022

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Le vote des jeunes (18-34 ans)¹ reste une donnée fondamentale de la vie politique française. Lors des élections régionales de décembre 2015, 34 % des moins de 25 ans ont voté pour le Front national. L’abstention, particulièrement importante chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Éric Zemmour², est aujourd’hui le premier parti de France de ces « primo-votants ». Au second tour des législatives de juin dernier, 71 % des 18-24 ans et 66 % des 25-34 ans n’ont pas voté contre 69 % des moins de 35 ans sept jours plus tôt. Le vote extrémiste apparaît comme le second parti des 25-34 ans qui, lorsqu’ils ont voté, se sont donc exprimés en majorité pour le Rassemblement national.

Augmentation d’un vote d’adhésion

En avril 2021, Le Monde rapporte en projection de la présidentielle de 2022³ que lorsqu’ils votent, les 18-24 ans le font pour le RN à la même hauteur que le reste de la population : 21 % selon les sondages Ipsos et Ifop de 2017, autour de 20 % aujourd’hui. Les 25-34 ans s’étaient, eux, massivement prononcés pour Emmanuel Macron en 2017 (29 %) envers lequel ils affichent une certaine déception quelques années plus tard. Marine Le Pen engrangerait fortement des voix et passerait de 23 % en 2017 à 29 % en 2022. En revanche, les jeunes qui votent RN, toutes classes d’âge confondues, sont sensiblement différents des autres électeurs lepénistes. Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’institut de sondage Ifop, cité par Le Monde, met en avant le vote d’adhésion aux idées frontistes qui a fortement progressé, de 13 % en 1997 à 35 % en 2021, et même à 60 % chez les 18-24 ans ; le vote de protestation s’élevant à 17 % chez les 18-30 ans.

La récente enquête Youngelect 2022⁴ poursuit et confirme cette réflexion en revenant sur les choix électoraux des 18-34 ans. Leurs scrutins mettent en évidence des lignes de clivage dans les comportements de vote au sein d’une même génération selon ses valeurs, ses difficultés spécifiques, ses territoires de vie et caractéristiques sociales. Chez les 18-24 ans, on dénombre 13 % d’abstentionnistes, 20 % de participants à un tour. 67 % ont voté aux deux tours de la présidentielle les 10 et 24 avril 2022. Ces votants se montrent davantage portés sur les candidats de la gauche radicale (38 % Mélenchon) et de l’extrême droite (28 % Le Pen) au premier tour. Quant aux 25-34 ans, ils se sont prononcés à 30 % pour Jean-Luc Mélenchon et 33 % pour Marine Le Pen. L’électorat de cette dernière, est-il expliqué, renvoie « tant aux inégalités sociales qu’à la relégation géographique ». Il est également souligné que les probabilités de voter pour Marine Le Pen dépendent essentiellement des valeurs culturelles des répondants : parmi les 18-34 ans identifiés comme les plus conservateurs, le vote en faveur de la candidate du RN est le plus élevé, à savoir jusqu’à 60 %.

L’histoire du FN aux oubliettes

« Marine Le Pen la candidate de la jeunesse », « Rendons du pouvoir d’achat aux jeunes Français ! », « Exonérer d’impôt sur le revenu tous les jeunes de moins de 30 ans. Les députés RN l’ont proposé »… les jeunes du RN ont le droit à leurs slogans. Mais aussi à des structures : le RN vient de relancer son mouvement destiné aux jeunes avec le RNJ (Rassemblement national pour la jeunesse) qui remplace Génération nation (GN) et l’ancien Front national de la jeunesse, « Les jeunes avec Marine », etc. Au moment du changement de nom du parti à l’été 2018, GN représentait un tiers de l’effectif du RN.

De nombreux jeunes électeurs du RN n’ont pas connu le temps du FN, celui où son leader Jean-Marie Le Pen enchaînait les dérapages et assumait d’avoir pour acolytes d’ex-Waffen SS ou d’anciens collaborateurs. Cette époque apparaît ne pas appartenir à l’histoire du RN.

Le parti est parvenu à s’adapter à cette génération en répondant à ses préoccupations et inquiétudes. Comme les autres partis, le RN se dépense sans compter pour attirer ces jeunes qui éprouvent bien des réticences à glisser leurs bulletins de vote dans l’urne. Le fonds de commerce du RN, la « lutte contre l’immigration clandestine », n’en est pas moins aujourd’hui « tout à fait prioritaire » pour 40 % du panel interrogé au sein de la génération des 18-30 ans (pour l’ensemble des Français, elle s’établit à 56 %). La santé et l’éducation arrivent en première et seconde positions avec respectivement 72 % et 64 % pour les jeunes électeurs du parti⁵.

De nombreux jeunes électeurs du RN n’ont pas connu le temps du FN, celui où son leader Jean-Marie Le Pen enchaînait les dérapages et assumait d’avoir pour acolytes d’ex-Waffen SS ou d’anciens collaborateurs. Cette époque apparaît ne pas appartenir à l’histoire du RN. Le vote pour Marine Le Pen ne concerne du reste pas les mêmes classes d’âge que celles de son père. Jean-Marie Le Pen rassemblait à niveau pratiquement égal dans l’ensemble des catégories (entre 14 % et 16 %) alors que sa fille domine dans celle des actifs (de 24 % à 29 % chez les 25-64 ans). Elle rassemble moins chez les moins de 25 ans et plus de 65 ans⁶. Les 18-24 ans votent davantage pour Emmanuel Macron.

Les visages avenants de l’extrémisme

« C’est quelqu’un d’accessible. On se sent touché. Elle est convaincante. Je n’aurais jamais voté pour son père », avançait une jeune femme à propos de Marine Le Pen alors qu’elle assistait à un de ses meetings peu avant le premier tour de la présidentielle de 2012⁷. Dix ans plus tard, des paroles similaires pourraient encore être prononcées concernant le nouveau président du RN. À la tête du parti à seulement 27 ans, Jordan Bardella rompt avec l’image traditionnelle de l’extrémiste.

En 2022, Marine Le Pen a réalisé le résultat le plus élevé jamais obtenu par son parti à une élection présidentielle avec près de 42 % au second tour. Cette progression entamée depuis des années s’est poursuivie aux législatives avec 89 députés élus au scrutin majoritaire. Le RN a su diffuser ses idées phares tous azimuts, parvenant à toucher les jeunes via les réseaux sociaux et les émissions qu’ils affectionnent comme Balance ton post ! de Cyril Hanouna⁸. Les programmes de l’animateur de C8, qualifiés récemment par L’Obs de « télé-populisme », ont un taux de pénétration particulièrement important auprès des jeunes : 42 % des moins de 35 ans regardent ses émissions, dont 45 % des 18-24 ans. Jordan Bardella a participé à plusieurs des émissions de Cyril Hanouna qu’il remerciera pour « son invitation et sa neutralité » (sic) après son passage à Balance ton post ! le 30 septembre 2021.

Le RN dédiabolisé, banalisé et bien identifié, qui accréditerait l’image d’une formation politique en voie de normalisation, a la part belle dans la dernière vague du baromètre réalisée par YouGov pour Le HuffPost⁹. Jordan Bardella se hisse sur la troisième marche du podium des personnalités politiques préférées des Français. Marine Le Pen reste à la seconde derrière le premier, à savoir Édouard Philippe qui la devance… de deux petits points.

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