Joël Kotek, historien, président de l’Institut Jonathas
Pour tous ceux qui refusent une solution suicidaire, c’est-à-dire ethnocidaire, la résolution du conflit israélo-palestinien ne peut s’envisager que sur la base d’un douloureux compromis où chacune des deux parties devra renoncer à une large part de ses chimères : de la Grande Palestine au Grand-Israël. Une paix véritable ne pourra être qu’un jeu sans cagnotte, mais à valeur ajoutée puisqu’il devrait créer les conditions d’un Proche-Orient pacifié. Chacun des protagonistes sera tout à la fois le perdant et le gagnant d’un tel accord.
Un mouvement contre Israël
Le collectif Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) se fonde-t-il sur cette évidence, à l’instar d’un mouvement comme Shalom Archav (La Paix maintenant) qui, souvent au prix de l’impopularité, n’a jamais hésité à défendre le droit des Palestiniens à l’autodétermination ? BDS serait-il l’équivalent de cet authentique et courageux mouvement de la Paix, c’est-à-dire en rupture avec le refus arabe d’une Palestine… également juive ? Rien n’est moins sûr comme le démontre l’enquête que j’ai menée avec Alain Soriano sur BDS1Joël Kotek et Alain Soriano (préface Philippe Val), De quoi le boycott d’Israël est-il le nom ? Paris, Bruxelles, La boîte à Pandore, 2019.. Que penser, en effet, d’un mouvement qui se prétend citoyen, pacifique et respectueux des droits humains mais dont l’unique solution au conflit qui l’oppose à son adversaire est sa disparition pure et simple ? Le boycott intégral d’Israël est l’expression d’un projet par ailleurs largement avoué, l’évaporation d’Israël ou israélicide, pour reprendre le concept forgé par Pierre-André Taguieff2Pierre-André Taguieff, Une France antijuive, Regards sur la nouvelle configuration judéophobe, Paris, CNRS éditions, France, 2015..
Que penser d’un mouvement qui se prétend citoyen, pacifique et respectueux des droits humains mais dont l’unique solution au conflit qui l’oppose à son adversaire est sa disparition pure et simple ?
À suivre les campagnes médiatiques de BDS et de ses filiales européennes, rien ne saurait sauver l’État juif de son démantèlement pur et simple : le boycott vise non seulement les sociétés commerciales implantées en Cisjordanie mais encore israéliennes, les plus utiles comprises, telle la firme pharmaceutique Teva, leader mondial dans les médicaments génériques. À en croire ces campagnes, Teva profiterait de la mort des Palestiniens depuis 1951 (sic) ! C’est l’excellence des produits génériques Teva qui la condamne au boycott.
BDS prône un boycott tous azimuts d’Israël, non seulement commercial mais encore culturel et universitaire. La mise au ban d’Israël s’applique ainsi par défaut à tous les artistes et intellectuels israéliens – et même simplement d’origine juive –, hormis ceux qui se désolidarisent totalement du projet « sioniste ». C’est ainsi que les tournées européennes du ballet Batsheva sont l’objet d’un boycott systématique tandis que son directeur, le chorégraphe Orad Naharin, est connu pour ses prises de positions critiques à l’égard de la politique du gouvernement israélien. C’est bien l’État des Juifs, en tant que tel qui est qui est visé.
Que veut réellement BDS ?
Force est de constater que l’argumentaire de BDS, comme sa rhétorique, est bien davantage belliqueux que pacifique. On ne peut prétendre, en effet, vouloir convaincre un adversaire de se mettre à la table des négociations en lui soumettant des propositions que l’on sait impossibles, par définition, à honorer. Un seul exemple parmi tant d’autres, l’exigence jamais démentie de BDS du « droit au retour » des Palestiniens, non pas en Palestine mais dans les frontières actuelles d’Israël.
On le comprend dès lors aisément, cette seule revendication du « droit au retour » – impossible à accepter pour des Israéliens qui pour moitié ont vécu sous le régime de la dhimma3Selon le pacte d’Omar, les gens du Livre, Juifs et chrétiens étaient autorisés à pratiquer leur religion mais sous un régime d’infériorité systémique. en terre arabe – démontre que l’objectif final de BDS n’est pas de créer un État palestinien à côté d’Israël mais bien à sa place. BDS est l’expression tout à la fois du nationalisme pur et dur palestinien et du refus arabe à l’égard des aspirations nationales du peuple juif. Son Logos comme sa Praxis l’apparentent aujourd’hui davantage aux thèses du Hamas et des mouvements palestiniens les plus extrémistes qu’à celles de l’Autorité palestinienne. BDS qui nie le droit à l’existence d’Israël, y compris dans ses frontières étriquées de novembre 1947, en vient jusqu’à dénoncer la déclaration Balfour (1917) pourtant entérinée par la SDN puis l’ONU.
BDS est l’expression tout à la fois du nationalisme pur et dur palestinien et du refus arabe à l’égard des aspirations nationales du peuple juif.
Omar Barghouti et la violence légitimée
Pour qui douterait encore de l’objectif final de BDS, il lui suffirait de se reporter aux prises de position de son principal porte-parole et sans doute inventeur, Omar Barghouti. Cet activiste, qui a pourtant étudié à l’université de Tel Aviv, n’a jamais caché son opposition à toute idée de normalisation avec Israël. Ce militant, adulé en Occident, appartient bel et bien au camp du refus. Il vomit les accords d’Oslo de 1993 comme en témoigne l’interview qu’il accorda à la militante négationniste Silvia Cattori : « En fait, tout cela a commencé avec les pourparlers de Madrid, avant Oslo ; mais le « processus d’Oslo » a conduit à un glissement de paradigme : d’une lutte d’un peuple opprimé contre ses occupants et colonisateurs, à une dispute entre deux groupes nationaux avec des droits et des revendications morales conflictuels mais symétriques. »
Le leader de BDS est l’enfant du refus et de l’antijudaïsme arabes, le frère d’armes des chefs du Hamas et du Hezbollah. Cette proximité et/ou complémentarité tactique explique pourquoi Barghouti s’est toujours refusé à condamner le moindre acte terroriste, fût-ce contre des civils israéliens. Car, contrairement à ce que d’aucuns veulent penser ou croire, le leader du BDS n’a rien d’un Gandhi, comme en attestent très clairement ses déclarations contre ceux qui osent exprimer des doutes sur la question du terrorisme palestinien. En juin 2011, à Chicago, il fait notamment exploser sa rage à l’égard des « camarades » du parti socialiste français, trop tièdes à son goût :
« Normalement je suis quelqu’un de gentil, mais je ne tolère pas qu’une personne blanche nous fasse la morale sur la non-violence. [Applaudissements] Je lui ai dit quelque chose qui peut paraître [!] raciste : la race blanche est la plus violente dans l’histoire de l’humanité. Regardez la Première Guerre mondiale et la Seconde et l’Holocauste et encore et encore et encore. Et le colonialisme. Je ne vous permets pas de nous faire la leçon sur la violence et la non-violence4https://ukmediawatch.org/2012/05/07/video-bds-leader-omar-barghouti-making-blatantly-racist-remark/ ».
Pour Barghouti, la violence est toujours légitimée dès lors qu’il s’agit de mettre fin à l’anomalie sioniste au Proche-Orient. Omar Barghouti est bien tout sauf un modéré, ce qui n’empêcha nullement les autorités de la prestigieuse université de Yale de lui décerner le Prix Gandhi de la Paix…. des cimetières assurément !
Une pièce maîtresse dans la guerre hybride contre Israël
Le collectif doit être compris comme partie prenante de la lutte sans merci que livre le mouvement du refus palestinien à Israël dont un cadre conflictuel bien précis, non pas celui de la guerre classique mais plutôt dite hybride5Frank G. Hoffman, “Conflict in the 21st Century: The Rise of Hybrid War”, Arlington, Potomac Institute for Policy Studies, 2007. Voir également J. Scott, Scott Moreland, « The Islamic State is a Hybrid Threat: Why Does That Matter?”, Small Wars Journal, December 2014. ou encore asymétrique6Ce concept a été popularisé par Andrew Mack dans « Why Big Nations Lose Small Wars, The Politics of Asymmetric Conflict », World Politics, 1975, Vol. 27, N°2, pp. 175-200.. Le conflit qui oppose Israël et le Mouvement national palestinien est l’exemple type de guerre politique et psychologique. La guerre psychologique a pour objectif premier de provoquer une surréaction en jouant sur l’image et l’impact émotionnel. Et, ici aussi, ce n’est pas par hasard que BDS recycle jusqu’à la nausée, avec cynisme et/ou conviction, les pires antisémythes légués par l’Occident chrétien que ce soit celui du Juif suceur de sang ou tueur d’enfants.
Dès sa création, BDS s’est ingénié à injecter dans le système médiatique mondial le virus du Juif infanticide, vampire et économiquement dominateur, d’autant plus efficace et dévastateur qu’il répond aux attentes et demandes politiques d’un large public pour le moins bigarré et plus que jamais hostile au signe juif.
Les campagnes BDS surexploitent, en effet, à l’instar du Mouvement national palestinien, la représentation antisémite d’origine médiévale du Juif tueur d’enfant, convoquant déicide et crime rituel. Et c’est bien cette image que collent inlassablement et délibérément les militants de BDS sur Israël.
Le mouvement y joue également sur une croyance médiévale, désormais largement répandue au sein du monde arabe, celle du Juif maître du monde, en contrôle des principales multinationales américaines ou européennes de Coca Cola à McDonald’s. Ce n’est pas par hasard si BDS constitue un point de rencontre et de ralliement. « Rouges », « Verts » et « Bruns » ont compris qu’à travers lui, peut s’exprimer, en toute liberté, une haine commune du « Juif », déguisé en « sionisme », d’où des complicités, des connivences et des ententes souvent inavouables.
Une judéophobie consubstantielle au mouvement
Pour résumer, trois facteurs clés permettent de comprendre la dynamique qui poussent des milliers d’Européens et d’Américains, de Sciences Po à Columbia, à se ranger, au-delà de la sympathie pour la cause palestinienne, sous la bannière de BDS : tantôt l’ignorance de la complexité du conflit israélo-palestinien, tantôt un habitus antisémite à droite comme à gauche, sans oublier la lancinante culpabilité liée à la Shoah. Dans cette passion revisitée et/ou véritable religion civile, l’enfant de Gaza symbolise à lui seul toutes les victimes du monde : le Palestinien incarne le Christ, le sioniste le diable et c’est bien BDS qui définit le cadre rituel de la nouvelle doctrine.
Les campagnes BDS surexploitent, à l’instar du Mouvement national palestinien, la représentation antisémite d’origine médiévale du Juif tueur d’enfant, convoquant déicide et crime rituel.
La question de savoir si BDS est un mouvement antisémite est en réalité accessoire si l’on songe que l’objectif des antisionistes, qu’ils soient radicaux ou modérés, est de convaincre l’opinion publique mondiale de la nécessité d’en terminer avec l’entité sioniste. Que cette destruction s’opère par étapes (BDS) ou brutalement (lutte armée), qu’elle soit motivée par la haine des Juifs ou l’amour de la Palestine, qu’elle soit une pure utopie, religieuse ou révolutionnaire, ne change rien à l’affaire. C’est toujours d’ethnocide, d’israélicide dont il est question.
La seule question qui mérite d’être posée est celle-ci : BDS-Palestine a-t-il choisi, en toute conscience, de jouer sur les ressorts traditionnels de l’antisémitisme pour susciter une haine obsidionale d’Israël et des sionistes ? À cette question essentielle, la réponse est oui, tant l’usage que fait BDS des schèmes judéophobes est consubstantielle de sa stratégie partisane. À force de répéter que l’État d’Israël est un État voyou, criminel et assassin(d’enfants), BDS est parvenu à annihiler dans le chef de ses partisans toute pensée claire et nuancée. En adoptant des représentations et des thèses de ce nouvel antisémitisme, BDS se range consciemment dans un camp qui n’est ni celui de l’apaisement des passions, ni celui de la paix.