Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch
« SsionnisteSS, Pétainistes (sic), on vous crèvera » : c’est l’avertissement – et la promesse – que des manifestants d’extrême gauche ont, à la veille de la Fête du Travail, inscrite à la peinture noire sur le chambranle de la porte d’entrée de Sciences Po Rennes.
Comment le nom du mouvement de libération du peuple juif a-t-il pu se transformer en synonyme d’affinité avec le nazisme (« SS »), son envers absolu ? L’intuition séminale de Theodor Herzl, le fondateur du sionisme politique, était qu’en faisant admettre les Juifs dans le concert des nations, les préjugés funestes selon lesquels ce peuple diasporique n’était qu’une tribu de parasites apatrides ne devant leur survie qu’à la ruse et au complot finiraient par se dissiper d’eux-mêmes.
Peine perdue : on exige aujourd’hui des Juifs qu’ils expient d’avoir cherché à accéder à la normalité. Au point que, pour se défendre de l’accusation, beaucoup arguent qu’il convient d’éviter tout amalgame entre « Israël » et « Juifs », entre « Juifs » et « Israéliens », entre « Juifs » et « sionistes », sans voir qu’ils valident alors en creux cet autre amalgame faisant d’Israël, des Israéliens et du sionisme tout ce que l’humanité civilisée abhorre à juste titre (fascisme, racisme, colonialisme, bellicisme…) et contre quoi les mesures les plus radicales (« on vous crèvera ») apparaissent justifiées.
Haïr les Juifs pour ce qu’ils ne sont pas
L’attachement indéfectible des Juifs et de leurs amis à l’État d’Israël ne relève ni d’un aveuglement fanatique ni d’un sentimentalisme à l’égard d’une terre que la plupart d’entre eux n’a jamais foulée. Il réside dans le fait que, pour eux, l’existence d’Israël n’est que justice en ce qu’elle corrige l’anomalie voulant que les Juifs soient, de tous les peuples du monde, le seul qui n’ait pas de pays à soi. Ne commettons pas non plus l’erreur de penser que les Juifs soutiennent Israël parce qu’Israël serait le seul endroit au monde où ils seraient en sécurité. Israël est assurément un refuge mais, depuis la proclamation de son indépendance en 1948, l’État hébreu vit sous une menace constante et chacun de ses citoyens est conscient que la première guerre qu’il perdrait serait aussi probablement la dernière.
Le racisme n’a jamais consisté à haïr des individus pour ce qu’ils font mais avant tout pour ce qu’ils sont. De manière pénétrante, l’historien belge Joël Kotek1Voir « Histoire de l’antisémitisme », documentaire en 4 parties de Jonathan Hayoun, écrit par Jonathan Hayoun & Judith Cohen-Solal (France, 2022), diffusé sur Arte le 12 avril 2022. note que l’antisémitisme a aussi et surtout consisté à haïr les Juifs pour ce qu’ils ne sont pas : des démons, des vampires qui se repaissent du sang des Gentils, des ennemis du genre humain.
Depuis une cinquantaine d’années, l’opération visant à démoniser les Juifs prend la forme de la nazification d’Israël. Ce qui est une double ignominie : parce qu’on reproduit ce qui, de tous temps, a préludé au meurtre des Juifs ; et parce qu’en les accusant de ce dont ils ont été victimes, on efface toute différence entre eux et leurs bourreaux, ce qui peut être une manière de faire entrer ces derniers en voie de réhabilitation. Depuis le 7 octobre 2023, le hashtag #HitlerWasRight (« Hitler avait raison ») ne cesse ainsi de s’inviter dans les tendances de plateformes telles que X.
L’antisionisme, une volonté d’écraser
L’histoire des Juifs est une sempiternelle répétition d’affronts impunis et de crimes invengés. Jusqu’au XXe siècle, il n’en coûte pour ainsi dire rien de s’en prendre aux Juifs. N’est-ce pas là l’une des causes de la violence qui s’abat sur eux ? Si, comme l’écrivait Nietzsche, « la faiblesse excite la haine », le sionisme n’aura-t-il pas finalement consisté à prendre cette phrase au sérieux et à en tirer les conséquences politiques qui s’imposent ? Autrement dit : trouver un moyen de se faire respecter afin d’esquiver la haine.
Bien au-delà de la question de savoir s’il convient ou non que tous les Juifs du monde aillent se regrouper sur un seul et même territoire, quelles frontières définitives donner à ce territoire et quelle forme d’organisation politique et sociale « l’État des Juifs » doit adopter, l’essence du sionisme tient peut-être toute entière dans cette décision que des Juifs ont prise de redresser la tête face à leurs agresseurs.
De sorte que l’antisionisme n’a pas de véritable autre programme que celui-ci : faire à nouveau courber la tête aux Juifs, c’est-à-dire reconstituer les conditions pratiques d’une impunité et d’une gratuité du crime antijuif. Que l’on appelle cela de l’antisémitisme n’est, au fond, pas le problème : pour quiconque sait les siècles d’écrasement et d’humiliations infligés aux Juifs, que ce soit en terre chrétienne, sous l’empire du Coran, ou derrière le rideau de fer, l’antisionisme représente une infamie suffisante pour qu’il ne soit pas nécessaire, avant de le frapper de réprobation, de se demander s’il satisfait bien à tous les critères qui définissent le racisme.