Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch
Article paru dans le n° 686 du DDV (printemps 2022)
Ils étaient nombreux ceux qui pensaient qu’à la première « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC), la loi Gayssot pénalisant le négationnisme serait invalidée. Introduite par la révision constitutionnelle de 2008, cette disposition permet à chaque citoyen d’exiger que le Conseil constitutionnel examine la conformité d’une loi avec la Constitution. C’est Vincent Reynouard, négationniste et militant néo-nazi notoire, qui initia la démarche.
La réponse des Sages de la rue de Montpensier est tombée en janvier 2016. La légalité de la loi Gayssot était confirmée, étant attendu que « la négation des crimes contre l’humanité commis durant la Seconde Guerre mondiale, en partie sur le territoire national, a par elle-même une portée raciste et antisémite » et que « seule la négation, implicite ou explicite, ou la minoration outrancière de ces crimes est prohibée, et que les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet d’interdire les débats historiques ».
Un texte inspiré par une disposition du code pénal allemand
Adoptée en 1990, dans un contexte de montée en puissance larvée du négationnisme (affaire Faurisson en 1978, affaire Henri Roques en 1985, déclarations de Jean-Marie Le Pen de 1987, affaire Bernard Notin en 1989…), la loi Gayssot faisait suite à l’introduction cinq ans plus tôt dans le code pénal allemand d’une disposition prohibant l’approbation, la négation ou la banalisation des crimes commis sous le régime nazi.
Insoupçonnables de la moindre complaisance avec le négationnisme, Pierre Vidal-Naquet, Madeleine Rebérioux, François Furet ou encore Simone Veil pointèrent alors les risques que pouvait faire peser une telle loi sur la liberté de la recherche mais aussi ses possibles effets pervers : ne risquerait-elle pas de faire le jeu des négationnistes en accréditant l’idée d’un « complot juif » ? Ne permettrait-elle pas aux négationnistes de se faire passer pour des martyrs de la liberté d’expression ? N’entrouvrirait-elle pas dangereusement la boîte de Pandore de la « concurrence mémorielle » ? Ces questions demeurent entières.
Trente ans plus tard, la loi Gayssot a-t-elle eu pour effet de stimuler le négationnisme ? Rien ne permet de l’affirmer. La France est au contraire l’un des pays du monde où les idées négationnistes ont le moins de succès, autour de 2 % selon une enquête d’opinion Ifop pour Conspiracy Watch et la Fondation Jean-Jaurès.
Résurgence du négationnisme et disparition des derniers témoins
Est-ce à dire que la loi Gayssot a porté un coup fatal et définitif au négationnisme ? L’optimisme en la matière serait fautif. Non seulement le négationnisme n’est pas mort mais il a même probablement trouvé une nouvelle vigueur avec Internet. Les thèses de Faurisson ont fait leur apparition, au cours des quinze dernières années, sur des sites conspirationnistes dont l’antisémitisme n’est pourtant pas le fonds de commerce principal : la remise en cause de l’existence des chambres à gaz y côtoie des contenus sur les « chemtrails », les Illuminati, le Bilderberg, le 11-Septembre, la dangerosité supposée des vaccins ou le coronavirus.
Abroger la loi Gayssot reviendrait à accéder à la revendication centrale des négationnistes.
Du reste, nous basculons de manière irréversible dans une époque où les derniers témoins du génocide auront disparu. Chaque jour qui passe nous éloigne un peu plus de cette histoire et confère une prime nouvelle à l’ignorance, circonstance qui, à terme, ne peut que profiter à la croisade négationniste.
Dans ces conditions, on se demande quelle urgence il y aurait à revenir, aujourd’hui, sur une loi qui n’a jamais troublé la sérénité d’aucun historien ni entravé la moindre recherche historique sur la Seconde Guerre mondiale, comme le réclament certains candidats à l’élection présidentielle.
Abroger la loi Gayssot reviendrait en fait à accéder à la revendication centrale des négationnistes. Ces derniers accueilleraient triomphalement un tel retour en arrière. Ils présenteraient tous ceux qui ont été condamnés au titre de la loi Gayssot comme les victimes d’une législation « inique » et s’engageraient dans des campagnes de réhabilitation. N’en doutons pas : ils ne tarderaient pas à réinvestir dans leur entreprise de falsification de l’Histoire toute l’énergie qu’ils déploient à lutter contre cette loi.
Les négationnistes ne sont pas stupides. Ils ont conscience de leurs intérêts. S’ils mettent un tel acharnement à combattre la loi Gayssot, ce n’est pas en raison d’un quelconque souci des libertés publiques ou de la vérité historique. C’est parce qu’ils savent qu’elle constitue une pierre dans leur jardin, qu’elle représente au moins autant un verrou judiciaire qu’un verrou symbolique et politique. Faut-il leur faire ce cadeau ?
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