Georges Dupuy, journaliste
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Ainsi, la réforme des retraites a eu la peau du projet de loi Darmanin « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » tel que le Sénat avait pu en débattre en commission des lois à la mi-mars.
Gérard Larcher, le patron de la Haute Assemblée, avait conseillé à Emmanuel Macron de repousser l’examen d’un texte qui pouvait contribuer à enflammer davantage des esprits qui ne l’étaient déjà que trop. Le 22 mars, le président de la République a fait plus que suivre son avis. Non seulement il a annoncé que le projet de loi était reporté (sine die ?) mais encore qu’il allait être réaménagé. Le projet Darmanin composé de 26 articles sera ainsi découpé en trois ou quatre textes de loi susceptibles d’être votés, vraisemblablement, séparément. Le ministre de l’Intérieur a, lui, évoqué l’introduction de propositions de loi émanant de la représentation nationale. Toujours est-il que le projet dans l’état où les sénateurs de la commission des lois l’ont examiné et amendé a vécu. Du moins sur la forme. Sur le fond, l’avenir le dira.
Le couplet de l’appel d’air migratoire
Bruno Retailleau, le patron du groupe Les Républicains au Sénat, ne décolère pas. Ce représentant de la droite dure, qui stigmatise « une technique de contournement très macroniste », réclame le maintien du projet de loi en un seul bloc. En se mettant un instant à sa place, on le comprend. La découpe pourrait le priver de la grande jouissance d’arriver à supprimer l’article 3 du projet Darmanin. C’est-à-dire la régularisation des « sans-papiers » qui travaillent au black ! Avec en prime, un CDI et un titre de séjour pouvant déboucher sur un passeport pluriannuel. À la condition de satisfaire à des épreuves de français que les sénateurs LR ont demandé de remplacer par un examen civique.
Demain, donc, si l’article 3 faisait partie d’un texte de loi mis aux votes indépendamment, le gouvernement pourrait compter pour l’emporter sur l’appoint des voix des députés de gauche ou les centristes, voire – trahison de l’esprit Puy du Fou – sur une poignée de députés LR de la droite « molle » ! Autre piste, l’article 3 pourrait être exfiltré dans un projet de loi Travail. Bref, dans un cas comme dans l’autre, horreur et stupéfaction !
La droite dure des LR, si viscéralement attachée au respect des frontières, franchira-t-elle un jour celle qui la sépare du Rassemblement national ?
Pour Bruno Retailleau et ceux qui pensent comme lui, il n’y a pas de doute : régulariser des gens non déclarés qui bossent, qui paient des impôts et des cotisations sociales et qui ne contribuent pas au chômage serait un intolérable appel d’air migratoire. Une œillade perverse au grand remplacement ! « Vous ne pouvez pas d’un côté avoir une politique d’ouverture des frontières et de l’autre vouloir resserrer un certain nombre de conditions d’accueil », clame le sénateur de Vendée.
Gérald Darmanin, qui ne passe pas pour un gauchiste forcené, a beau parler de quotas, de mesures expérimentales et de quelques milliers de cas, rien n’y fait ! Dehors ! Et tant pis si les patrons du BTP, de l’hôtellerie-restauration-tourisme, de l’aide aux personnes ou de l’e-commerce, en manque de personnel, sont de plus en plus nombreux à réclamer ouvertement la régularisation de salariés qui ne demandent pas mieux que de travailler dans des emplois dont ne veulent plus les autres. Pour des questions de salaires, de pénibilité ou de considération. La liste des métiers sous tension établie par les ministères du Travail et de l’Intérieur ? « Tous les métiers sont sous tension », balaie, péremptoire, Bruno Retailleau. Sus à l’article 3. Prudent, le Medef, le syndicat des patrons, reste muet, bien conscient, selon un syndicaliste, que la régularisation peut ouvrir la boîte de Pandore des conditions de travail.
Concurrencer le RN avant tout
« Si l’article sur la régulation/intégration tombe, nous aurons au global une politique totalement répressive vis-à-vis des immigrés », analyse Jean-Christophe Dumont, responsable du département Migrations Internationales de l’OCDE. À bien y regarder, l’article régulation des travailleurs sans papiers se trouve bien seul au milieu de toutes les atteintes aux droits des immigrés dénoncées par Claire Hédon, la Défenseure des droits, dans son féroce avis de 14 pages sur le texte de loi. La belle affaire ! Bruno Retailleau n’y voit qu’une manifestation du « en même temps macronien qui ne marche pas». Ce qui marche ? C’est la force d’âme de ceux qui, au Sénat, avaient déposé des amendements pour, entre autres, brider les regroupements familiaux, limiter aux cas les plus urgents l’aide médicale d’État ou restreindre les conditions d’accès à la nationalité française pour les mineurs étrangers nés en France, en piétinant le droit du sol.
Nul ne sait quand la nouvelle version du projet de loi Darmanin pourra être présentée. Ce qui donnera à Bruno Retailleau le temps de bichonner ses attaques contre l’article 3, durcir encore l’arsenal des projets de loi anti-migrants et claironner partout où on veut l’entendre que « l’immigration n’est pas une chance pour notre société et qu’il y a un lien entre l’immigration et l’insécurité ». Une phrase que ne renierait pas Marine Le Pen. La droite dure des LR, si viscéralement attachée au respect des frontières, franchira-t-elle un jour celle qui la sépare du Rassemblement national ?
Mais le vrai but de cet acharnement féroce contre l’article 3 et le prétendu laxisme de l’ancien projet de loi Darmanin ne serait-il pas de capter la lumière ? D’exister par rapport au RN alors que les LR, réduits à 62 députés, sont dans la tourmente. Ballotés entre participation et opposition. Qu’importe alors que tout cela ne soit finalement que postures. La droite dure LR, qui pointe l’impuissance du gouvernement actuel à expulser, sait bien qu’augmenter le nombre d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) et surpeupler les centres de rétention administrative (CRA) ne se traduira pas, comme elle le prétend, par une explosion des expulsions.
Encore faut-il que les pays d’origine soient d’accord pour reprendre leurs nationaux. Pourquoi diable, récupéreraient ils des gens que la France considère comme des menaces pour la sécurité publique, qui viendraient, en outre, grossir le nombre de leurs propres chômeurs ? Comment forcera-t-on la main des États, qui ont fait de la délivrance des laissez-passer de retour une arme géopolitique ? Et à qui passera-t-on la patate chaude des illégaux les plus nombreux, ceux qui ont réussi à entrer et qui n’ont pas de papiers ? À l’Italie et à la Grèce, déjà dans la peine. Les laissera-t-on gagner la Grande-Bretagne, qui paye la France pour les bloquer ? Sans parler des déboutés de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui ne sont ni régularisables ni expulsables. Les renverra-t-on dans ces charmants pays que sont la Syrie, l’Iran, l’Afghanistan ou la Somalie ? Autant de questions qui seraient déjà difficiles à traiter si la France ne faisait pas non plus partie intégrante de l’Union européenne et n’avait pas signé des conventions internationales, dont celle de 1951 à Genève sur le statut et les droits des réfugiés !
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