Service juridique de la Licra
Du 29 janvier au 1er février 2024, la Licra était partie civile devant la Cour criminelle départementale de Paris dans un dossier de haine anti-Chinois. L’accusé était renvoyé devant la Cour criminelle pour des faits de violences volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner et de violences ayant entrainé une incapacité totale de travail de moins de 8 jours, ces violences ayant été précédées ou accompagnées de propos à caractère raciste.
Les faits se sont déroulés un soir d’août 2020 dans un cercle de jeux parisien. Durant la soirée, l’accusé alcoolisé profère des insultes racistes contre les deux victimes d’origine chinoise. Plusieurs témoins de la scène rapportent notamment les propos suivants : « Barre-toi Jackie Chan », « J’aime les nems et les sushis », « Les Chinois j’en mange six par jour », Les Chinois ils sont rien du tout », « Je ne me laisserai pas faire par les Asiats ». Après une altercation à une table de jeux, les deux victimes s’absentent pour se rendre aux toilettes où se trouve également l’accusé. Une altercation a lieu dans les toilettes et le couloir. L’une des victimes, A. J., reçoit un coup de poing violent au niveau de la gorge, le tuant sur le coup. La seconde victime, Monsieur M. reçoit deux coups de poing et est blessé au visage.
Le 1e février 2024, l’accusé a été reconnu coupable des faits qui lui étaient reprochés et la circonstance aggravante de racisme a été retenue par la Cour criminelle de Paris. L’individu a été condamné à 7 ans d’emprisonnement assortis d’un mandat de dépôt.
La Licra était assise aux côtés de la famille d’A. J., pour que soit reconnue la dimension raciste de ces faits, qu’on ne le taise plus ce racisme banalisé et trop souvent silencieux. Ce 1er février, la Licra a une pensée émue pour la famille d’A. J. qui doit désormais vivre avec l’absence déchirante d’un époux, d’un père, d’un fils, d’un frère ou d’un oncle.
Nous retranscrivons ci-dessous la plaidoirie de l’avocate de la Licra, Me Sabrina Goldman.
Plaidoirie de Me Sabrina Goldman devant la Cour criminelle départementale de Paris, le 31 janvier 2024
« Monsieur le Président, Mesdames, Monsieur de la Cour,
J’ai l’honneur de prendre la parole, après les familles des victimes, pour la Ligue internationale contre le Racisme et l’antisémitisme.
La Licra est née à l’occasion d’un procès, dans ce même Palais de Justice, en 1927. Un procès que l’on a appelé « le procès des pogroms ».
L’accusé, un Français juif, avait assassiné en pleine rue, à deux pas d’ici, un ancien chef d’Etat ukrainien qui avait organisé les pogroms anti-Juifs dans lesquels sa famille avait péri ; il coulait paisiblement ses vieux jours en France, sans être inquiété par la Justice. L’accusé avait justifié son acte par l’impunité de l’auteur des massacres.
A l’occasion de ce procès, l’association s’est créée pour sensibiliser l’opinion, éveiller les consciences sur l’Histoire des pogroms ayant causé la mort de dizaines de milliers d’hommes, femmes et enfants, tués parce que nés Juifs.
Le combat de l’association est ensuite, au fil des années, devenu universaliste. La Ligue contre les pogroms est devenue la Ligue contre l’antisémitisme puis la Ligue internationale contre le Racisme et l’antisémitisme.
Aujourd’hui, la Licra est aux côtés de toutes les victimes de racisme, elle est aux côtés des victimes de tous les racismes.
En 2018, la Licra était sur le banc des parties civiles à la Cour d’assises de Bobigny, aux côtés de la famille de Chaolin Zhang, ce paisible couturier de 49 ans, père de famille, qui s’est fait mortellement agresser dans une rue d’Aubervilliers parce qu’il était chinois, et que dans les préjugés de ses agresseurs, les chinois ont de l’argent liquide sur eux. Lui qui n’avait dans sa sacoche qu’un paquet de cigarettes et quelques bonbons…
Voilà ce que c’est, Monsieur le Président, Mesdames, Monsieur de la Cour, voilà ce que c’est le racisme ordinaire qui tue.
Le 22 août 2020, avenue des Champs Elysées, c’est aussi le racisme ordinaire qui a tué A. J.
Alors bien sûr, ce n’est pas que cela qui l’a tué, c’est aussi l’orgueil, la paranoïa, l’addiction, tous ces vils sentiments qui ont motivé l’accusé dans sa violence ; mais il faut le dire, c’est aussi la haine des chinois qui l’a motivé.
L’accusé a clamé « je ne suis pas raciste », mais ce n’est pas le sujet ; vous n’êtes pas juges de ce qu’il pense, vous êtes juges de ses actes. Et sur ce point le Code pénal est très clair ; la loi du 29 janvier 2017 qui a édicté l’article 132-76 du code pénal dans sa version actuelle, définit clairement ce qu’est le mobile raciste. C’est souvent compliqué juridiquement de caractériser un mobile, mais dans ce cas-là la loi l’énonce clairement :
« Lorsqu’un crime, [ici] est précédé, accompagné ou suivi de propos [ici] qui soit portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de son appartenance (…) à une (…) nation (…), soit établissent que les faits ont été commis contre la victime pour l’une de ces raisons », les peines sont aggravées.
Cette audience a parfaitement démontré que les violences mortelles dont a été victime A. J ont été précédées et accompagnées de propos racistes à l’encontre des victimes.
D’abord, il est incontestable que des injures racistes anti-asiatiques ont été tenues par l’accusé à la table de jeu, 4 témoins l’ont confirmé (« Barre-toi Jackie Chan », « J’aime les nems et les sushis », « Les Chinois j’en mange six par jour », Les Chinois ils sont rien du tout », « Je ne me laisserai pas faire par les Asiats »), cela ressort aussi des vidéos que nous avons vues, et l’accusé lui-même ne le conteste plus vraiment.
Considérerez- vous que ces propos ont bien précédé les violences mortelles ? oui, car ce qui se passera un peu plus tard dans les toilettes du casino est la continuité des échanges à la table de jeu ; c’est une scène unique. Le mobile des violences racistes s’analyse dans l’ensemble de cette scène, sinon les violences dans les toilettes n’auraient jamais eu lieu.
Les injures racistes, elles ont même immédiatement précédé voire accompagnées les violences mortelles, car elles ont aussi eu lieu dans les toilettes du casino. Certes il n’y a que la seconde victime qui le dit, mais il n’y a pas d’autres témoins ; on vous dira qu’il ne l’a pas dit tout de suite, mais il l’a pourtant bien précisé dès sa deuxième audition par les services de police ( « sale chinois, je vais niquer ta mère, fils de pute ») ; il l’a confirmé devant le Juge d’instruction, et quand celui-ci lui demande pourquoi il ne l’avait pas dit tout de suite, il explique que pour lui c’est banal ce type d’injures ! parce que ce racisme est en effet totalement banalisé !
Alors, vous retiendrez cette circonstance aggravante de racisme dans les coups mortels qui ont tué A. J.
Monsieur le Président, Mesdames, Monsieur de la Cour, depuis trois jours, la Licra est assise aux côtés de la famille d’A. J., pour que l’on reconnaisse cette dimension raciste, qu’on ne le taise pas, ce racisme. Précisément car c’est un racisme totalement banalisé, silencieux.
Il est tellement tu ce phénomène qu’on peine à trouver des données gouvernementales recensant les actes racistes anti asiatiques !
On trouve une étude de sociologues de mars 2023, financée par le Défenseur des droits, qui décrit les actes dont sont victimes les communautés asiatiques en France : des agressions verbales, physiques, dans la rue, les transports en commun, au travail, la discrimination dans l’accès aux soins, aux services, avec cette flambée, ce moment paroxystique au moment du Covid, particulièrement à l’encontre des chinois. La famille J. a vécu cela, elle vous l’a raconté.
Il y a aussi, et c’est édifiant, le traitement politique et journalistique : en janvier 2020, Le Courrier Picard titre « Alerte jaune » avec la photo d’une personne asiatique dotée d’un masque, avec un éditorial intitulé « le péril jaune ? » ! En 2020 ! et ce n’est pas Minute ou Rivarol, c’est un quotidien des plus autorisés de la presse régionale.
Enfin, un bon baromètre de l’opinion, tous ces sketchs prétendument humoristiques sur les asiatiques, qui véhiculent ces clichés racistes, auxquels Michel Leeb n’a rien à envier. Un humoriste disait récemment « le racisme anti chinois, c’est le dernier racisme encore autorisé en France, c’est la seule communauté dont on peut encore se moquer ».
Voilà où on en est, on a le droit de se moquer des chinois, comme s’ils ne souffraient pas. L’éditorialiste Claude Askolovitch a très justement appelé ce phénomène « le racisme de l’effacement ». On ajoute au rejet, à la discrimination, à la haine, la négation de ce que vous vivez.
Voilà pourquoi la Licra est là, pour parler au nom de ceux qui se taisent.
Et que vous puissiez, demain, lorsque vous rendrez votre délibéré, mettre les mots, bien nommer les choses, en détournant ce qu’a dit Albert Camus, bien nommer les choses pour ne pas ajouter au malheur du monde. Pour ne pas ajouter au malheur de la famille J. »