Par Georges Dupuy, journaliste
Cris de joie, applaudissements et larmes ont accompagné, le 20 avril, l’annonce du verdict du procès de Derek Chauvin à Minneapolis (Minnesota). À l’unanimité (comme le veut le système judiciaire américain), les 12 jurés populaires de toutes origines ont déclaré que l’ancien policier de 45 ans était coupable de « meurtre », d’ « homicide involontaire » et de « violences volontaires ayant entrainé la mort » de George Floyd. Le 25 mai 2020, cet Afro-Américain de 46 ans avait succombé à une asphyxie posturale, le cou écrasé pendant 9 longues minutes par le genou de Chauvin. Sa plainte « I cant breathe » (« Je ne peux pas respirer ») répétée vingt fois et retransmise par les télévisions du monde entier, avait alimenté les manifestations conduites par les « Black Lives Matter » (« Les Vies Noires Comptent »), suivies d’émeutes non seulement aux États-Unis mais dans le monde entier.
40 ans de conditionnement
Dans un tweet empreint de solennité, Joe Biden a affirmé que « le verdict de culpabilité est un énorme pas en avant vers la justice en Amérique. » Force est, cependant, de constater qu’en dépit des bons sentiments, un fossé sépare encore la coupe et les lèvres.
De fait, pendant les trois semaines qu’a duré le procès (qualifié d’historique) de Derek Chauvin, la police américaine a abattu 64 personnes dans des conditions plus que douteuses. À ce rythme, le bilan 2021 promet d’être en ligne sur ceux des années précédentes : 1 100 victimes innocentes, un Afro-Américain courant trois fois plus le risque d’être abattu qu’un Blanc et deux fois plus qu’un Hispanique, et, au final, seulement 150 policiers poursuivis en justice, dont 40 sanctionnés, certains par une simple réprimande.
Philippe Coste, journaliste installé aux États-Unis depuis trente ans, commente : « Pour en finir avec la violence et le racisme policiers, ce sont 40 ans de conditionnement qu’il faut modifier et pour qu’une vraie réforme des mentalités ruisselle jusque dans le plus petit commissariat du Wyoming, cela prendra du temps. »
Retour en arrière ! Dans les années 90, le taux de criminalité, qui flambe depuis 1960, est à son pic et la communauté afro-américaine – ravagée par la pauvreté, le chômage et les inégalités socio-économiques – pèse pour une large part dans les chiffres. Il faut aussi compter avec l’irruption des chaines d’information en continu, conservatrices pour l’essentiel, qui inondent les écrans télé d’un flot de faits divers dramatisés, dont les auteurs présumés sont en majorité des Noirs. Ancrant les équations « Noir ou Hispanique = délinquance génétique » ou « quartier noir ou hispanique = concentration de criminels » dans la tête d’un public blanc qui n’a pas besoin d’être convaincu de leurs véracités.
Tolérance zéro
De leur côté, les « cops », qui se considèrent comme le dernier rempart de la Loi et de l’Ordre, sont d’autant plus prêts à appuyer sur la détente qu’ils ont peur d’être pris pour cibles (une cinquantaine de tués par an) ou d’être agressés (14 000 attaques par an), et que mieux vaut tirer le premier. Au fil des ans se forgent des stéréotypes racistes sur le bien-fondé desquels il ne faut pas revenir. Est ainsi considéré comme hautement dangereux un jeune Afro-Américain en capuche qui ne montre pas ses mains et qui résiste un peu.
La pratique de la « tolérance zéro » vis-à-vis des petits délits, menée massivement à New-York et à Baltimore et de façon plus diffuse dans le reste des États-Unis, a également renforcé le côté brutal d’une police poussée à « faire du chiffre » et de plus en plus répressive vis-à-vis des minorités. Se sont donc multipliés les abus de toutes sortes, comme le « no-knock » qui permet d’entrer sans frapper dans un appartement suspect avant de mitrailler les présumés coupables pour un geste de travers.
George Floyd Justice in Policing Act
La route vers la police idéale sera longue. Joe Biden entend faire adopter par le Congrès d’ici à la fin de l’année, une ambitieuse loi de réforme. Celle-ci reprendra le projet de loi (présenté fin 2020 et retoqué par Donald Trump au début de 2021) que les Démocrates avaient appelé : « George Floyd Justice in Policing Act ». Comprenez, « Loi George Floyd pour la justice dans les services de police ». Au programme : rendre la police responsable de ses actes, mettre fin au profilage racial, changer la culture du maintien de l’ordre (en privilégiant la désescalade) et restaurer la confiance entre les représentants de la loi et les communautés.
Suspendues pendant la campagne présidentielle, les conversations entre Démocrates et Républicains modérés ont repris, avec l’appui de législateurs des deux camps. La Maison Blanche, qui a abandonné l’idée d’une Commission de surveillance de la police, espère présenter un texte au Sénat en mai prochain. Mais les Républicains, appuyés par les organisations de policiers, bloquent toujours sur la remise en cause du principe d’ « immunité qualifiée », qui, aujourd’hui, accorde à un policier le droit d’utiliser son arme quand il pense « raisonnablement » qu’il doit le faire. Les démocrates, eux, veulent désormais que le tir se justifie par la « nécessité absolue » d’y procéder. Deux petits mots qui, s’ils étaient gravés dans la loi, éviteraient bien des drames.