Philippe Foussier, journaliste
Un message d’espoir. C’est ainsi que Marika Bret, DRH de Charlie Hebdo, a résumé la séquence qui a réuni plus de 150 étudiants de Sciences Po Paris pour assister au spectacle de Charb. « Depuis cinq ans, on essaie de faire entrer les mots de Charb à l’université », développe Marika Bret. En effet, les pressions pour empêcher cette représentation ont été légion ces dernières années. La dernière réussie remonte à 2018.
Si l’initiative a été prise par l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) de Sciences Po, elle a été soutenue par quasiment tous les courants du syndicalisme étudiant, de l’UNEF à l’UNI en passant par le PS, EELV, SOS Racisme, LR, La REM ou la section locale du Printemps républicain. Une unité saluée par Jérôme Guedj, secrétaire national du PS à la laïcité, présent à cette soirée. C’est en effet peut-être l’événement le plus marquant de cette représentation, tant certains de ces mouvements ont pu par le passé se joindre aux censeurs dans d’autres universités.
Les étudiants de Sciences Po Paris se sont donc retrouvés pour ce spectacle mis en scène par Gérald Dumont alternant la lecture du texte de Charb et la projection de ses dessins, un texte dont la dernière ligne a été rédigée par son auteur deux jours seulement avant le massacre du 7 janvier 2015. « Dire que l’islam n’est pas compatible avec l’humour est aussi absurde que prétendre que l’islam n’est pas compatible avec la démocratie ou avec la laïcité … », écrivait ainsi le rédacteur en chef de Charlie Hebdo, qui complétait : « Il serait temps d’en finir avec ce paternalisme de l’intellectuel bourgeois blanc de gauche. »
Autocensure et confusions
Si le spectacle et le débat se sont bien déroulés ce 1er décembre, ils se sont néanmoins tenus sous le regard d’un service d’ordre vigilant. Présents également, outre Marika Bret et l’avocat Richard Malka pour la séquence débat, la ministre déléguée à la Citoyenneté Marlène Schiappa, Caroline Fourest et le tout nouveau président de Sciences Po Paris, Mathias Vicherat, qui a fait une rapide apparition. Noémie Madar, présidente de l’UEJF, et Eliot Sberro, pour sa section Sciences Po, ont pris la parole pour raconter la genèse de l’opération, le second se félicitant que l’université, « ce haut lieu de la liberté d’expression, tourne le dos à la censure et l’interdiction », espérant que l’initiative puisse « rayonner sur l’ensemble des universités françaises ». En écho, Gérald Dumont avait prononcé les mots de Charb quelques minutes auparavant : « Les censeurs n’en veulent pas du tout, de cette pute de liberté d’expression ! Pas du tout ! Mais ils ont raison de manifester leur barbare bêtise, puisque ça fonctionne. L’autocensure est en passe de devenir un art majeur en France. »
À l’issue de la représentation, la salle était debout pour applaudir au spectacle, sans doute aussi pour se réjouir de la tenue même de la représentation et du débat. Comme le rappelait Noémie Madar, « jouer cette pièce n’a pas été simple ces dernières années ». Ce sont parfois des associations de défense des droits de l’homme ou antiracistes qui se sont trouvées du côté des censeurs pour obtenir son interdiction. Peut-être le 1er décembre marquera-t-il un tournant dans l’histoire tumultueuse de la liberté d’expression en France… C’est en tout cas ainsi que le concevait le représentant de l’association Dernier espoir, qui regroupe la « jeunesse humaniste et universaliste », et qui entend qu’un amphi de la Sorbonne porte à l’avenir le nom de Charb.
Le débat a permis à Marika Bret et à Richard Malka de répondre à une dizaine de questions, la première insistant sur la nécessité de distinguer entre les personnes et les idées tant la confusion règne, entretenue à dessein par les nostalgiques du délit de blasphème : « La critique des idées et des croyances n’a rien à voir avec du racisme. » L’avocat complétant : « On ne peut pas et on ne va pas interdire tout ce qui blesse, tout ce qui heurte, ce serait sans fin. »