3. « Touche pas à mon Dieu » … Des lycéens beaucoup plus orthodoxes que leurs aînés dans leur rapport à la religion
Le soutien de ces élèves à ces expressions de religiosité en milieu scolaire tient sans doute beaucoup à la conception particulière qu’ils ont des religions. L’analyse du rapport des lycéens à la religion dans la société en général et à l’école en particulier met ainsi en lumière un double clivage : celui entre les jeunes et le reste des Français d’une part, celui entre les jeunes musulmans et le reste de la jeunesse d’autre part.
LA PERCEPTION DE LA SUPÉRIORITÉ DE SA RELIGION PAR RAPPORT AUX LOIS DE LA RÉPUBLIQUE ET AUX AUTRES CULTES RELIGIEUX
Interrogés sur leur rapport à la religion, les lycéens s’avèrent ainsi deux fois plus nombreux (40 %) que l’ensemble des Français (23 %) à estimer que « les règles édictées par leur religion sont plus importantes que les lois de la République », sachant que leur position sur le sujet est « tirée vers le haut » par les réponses des musulmans qui y adhèrent, eux, très majoritairement (à 65 %). Cette position particulière des musulmans sur ces questions tient sans doute au rapport beaucoup plus orthodoxe qu’ils entretiennent avec la religion, les jeunes musulmans se distinguant par leur capacité accrue à se conformer aux injonctions de la religion à laquelle ils sont rattachés culturellement.
Mais cette orthopraxie est loin d’être une spécificité des musulmans : une forte proportion d’élèves inscrits dans des lycées classés « prioritaires » (76 %), perçus comme « non blancs » (60 %) ou vivant dans des banlieues populaires (55 %) partagent également majoritairement leur point de vue sur la hiérarchie entre les normes civiles et religieuses. D’après Olivier Galland, il faut peut-être y voir le fruit d’un « phénomène d’acculturation leur faisant rejoindre les opinions de leurs camarades musulmans lorsque ceux-ci sont très représentés dans l’espace scolaire »1Olivier Galland, La laïcité au prisme du regard des jeunes, Telos, 1er décembre 2019.
Ce hiatus entre les lycéens et le reste de la population se retrouve dans le soutien plus fort qu’ils apportent à l’idée que leur « religion est la seule vraie religion » : 39 % des lycéens partagent cette idée, contre à peine 18 % des adultes ayant une confession. Et, là aussi, les élèves musulmans se distinguent en partageant ce point de vue dans une proportion beaucoup plus forte (65 %) que les catholiques (27 %).
4. Une critique des religions dans l’espace scolaire qui ne passe pas chez les élèves musulmans
Dans cette jeunesse populaire très attachée aux préceptes religieux et à la notion de « respect », on observe aussi une moindre acceptation des formes d’irrévérence envers les dogmes religieux au point de se traduire par une condamnation moins ferme des violences.
De manière générale, le choix – adopté par Samuel Paty – de présenter des dessins se moquant des religions est moins soutenu par les lycéens (61 %) que par l’ensemble des Français (73 %). Mais cette question du droit à la critique des religions dans l’enceinte scolaire met surtout en exergue le fossé existant sur ce plan entre les musulmans et le reste de cette jeunesse scolarisée dans le second degré. En effet, alors que la plupart des lycéens jugent majoritairement « justifié que les enseignants puissent montrer à leurs élèves (…) des caricatures se moquant des religions afin d’illustrer les formes de liberté d’expression », ce n’est pas le cas des jeunes musulmans qui s’y opposent massivement (à 81 %).
De même, si la très grande majorité des lycéens « condamne totalement » (à 87 %) l’assassinat de Samuel Paty, la désapprobation radicale de ce meurtre fait moins l’unanimité chez les élèves musulmans : 9 % d’entre eux « condamnent l’assassin mais partagent certaines de ses motivations », 9 % se disent indifférents à son égard et 4 % « ne le condamnent pas ». Au total, un quart des élèves musulmans n’expriment donc pas une condamnation totale de l’assassin de Samuel Paty, soit deux fois plus (25 %) que ce que l’on observe en moyenne chez l’ensemble des lycéens (13 %). Mais cette indifférence à l’égard du meurtre du professeur tient aussi beaucoup au contexte scolaire dans lequel les élèves étudient : les lycéens ne condamnant pas son assassinat (8 % en moyenne) étant particulièrement surreprésentés en milieu d’éducation prioritaire (21 %) et chez les élèves ayant le sentiment d’être dans un « mauvais lycée » (31 %).
François Kraus, directeur du pôle « Politique / Actualités » de l’Ifop
Le point de vue de Jean-Pierre Obin sur l’enquête en page 4 🔽