Alain Barbanel, journaliste
On se méfie à juste titre des comparaisons historiques un peu hâtives mais il y a dans cet événement une concordance des temps tragique et troublante. Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, les dirigeants nazis déclenchaient une série de pogroms contre la population juive d’Allemagne et de ses nouveaux territoires. En raison des débris de verre jonchant les rues après le vandalisme, le pillage, la destruction des commerces, synagogues et foyers juifs, cet événement – au cours duquel une centaine de juifs fut assassinée – prendra le nom de Kristallnacht, Nuit de Cristal.
« J’ai moi-même eu du mal à croire que de telles choses puissent se passer dans une civilisation du XXe siècle », dénonça lors d’un discours prononcé le 15 novembre le président Franklin Delano Roosevelt. Ad nauseam, le 7 novembre 2024, en marge de la rencontre de Ligue Europe de football entre le club de la ville l’Ajax Amsterdam et le Maccabi Tel-Aviv, des centaines de supporters de l’Ajax ont mené des agressions à caractère antisémite contre des Israéliens venus encourager leur club dans les rues d’Amsterdam, pourchassant et frappant violemment ceux qu’ils cherchaient à identifier comme juifs en les forçant sous la menace à leur présenter leur passeport ou leur carte d’identité. Comparaison n’est pas raison, mais en l’espèce, la raison force à s’interroger sur cette énième manifestation de la haine antisémite au cœur de l’Europe. « Pas d’amalgame, cela n’a rien à voir avec les nazis, l’histoire ne se répète pas… » peut-on entendre dans le clan du déni et du « oui…mais ! ». Soit, elle ne se répète pas, mais elle laisse résonner douloureusement, 86 ans plus tard, l’un de ses sinistres ressorts : la haine des juifs.
Une nouvelle étape de franchie
On sait que les fans zones ne sont pas des lieux de courtoisie et de bienveillance sportive fréquentés par des enfants de cœur. Et les supporters, d’où qu’ils viennent font rarement dans la dentelle pour venir soutenir leurs équipes. On y entend régulièrement au mieux des noms d’oiseaux qui n’ont rien à voir avec les règles du football, et le plus souvent – comme ce fut le cas avec certains supporters du Maccabi Tel-Aviv – des insultes racistes, xénophobes et homophobes. Lors des grands matchs, les stades se transforment en champs de bataille contenus avec peine par une sécurité policière de plus en plus présente, loin du principe d’une rencontre sportive répondant à l’esprit sportif et au respect de l’adversaire, comme ce fut le cas, a contrario, lors des derniers Jeux olympiques de Paris.
La chasse aux supporters israéliens et leur passage à tabac dans les rues de la capitale des Pays-Bas franchit une nouvelle étape dans les agressions antisémites qui ont explosé en Europe depuis la razzia islamiste du 7 octobre et qui s’incrustent désormais dans les événements de toutes natures. « Des actes qui rappellent des heures sombres » a déclaré Emmanuel Macron. Oui, un amer goût de déjà-vu. Les barbares du IIIe Reich de la Nuit de Cristal ont troqué leurs croix gammées et sigles SS contre des keffiehs et des banderoles scandant « Free Palestine : du fleuve à la mer ». Et si les apparats ont changé, les objectifs restent les mêmes : éradiquer la présence juive, en Israël comme partout.
Pas d’antisémitisme à géométrie variable
Il y a toujours de bonnes raisons pour être antisémite. Hier détesté parce qu’apatrides, faibles, responsables de tous les maux et de tous les complots quand ils n’étaient pas accusés de sacrifier des enfants pour leurs fêtes religieuses, les juifs le sont tout autant aujourd’hui, assimilés cette fois à un État-Nation, une puissance militaire qui doit faire face aux menaces permanentes de l’islamisme radical.
Non, l’antisémitisme n’est décidément pas « résiduel », comme le prétendent ceux qui, par antisionisme obsessionnel, nient ou déforment les faits. Car il n’y a pas d’antisémitisme à géométrie variable. C’est un mal en soi, une plaie millénaire qu’il faut combattre, à l’image du racisme, de l’homophobie et de la xénophobie. Il faut le faire par une action répressive et judiciaire ambitieuse et sans relâche. Aucune cause ne peut justifier que l’on s’en prenne à des personnes du fait de leur religion, de la couleur de leur peau ou de leur nationalité. Chacun est libre de contester l’option militaire du gouvernement Netanyahou, d’être en désaccord profond sur la composition et les orientations de son gouvernement, de dénoncer les morts civils à Gaza et au pays du Cèdre, de s’interroger sur les finalités de cette guerre meurtrière. Chacun peut débattre, protester, s’opposer en arguments et en idées, appeler de ses vœux le retour de la diplomatie, de la politique et un arrêt des combats. Mais que l’on ne nous fasse pas croire que les hordes sauvages qui ont pourchassé les supporters du Maccabi Tel-Aviv sont des militants de la « cause » palestinienne, un prétexte qui ne suffit plus à masquer leur haine des juifs.
La petite musique du « oui…mais »
Aucune cause ne peut justifier de tels actes. Les membres de la Sturmabteilung (SA), de la Schutzstaffel (SS) et de la Jeunesse hitlérienne avaient aussi leurs raisons quand ils ont massacré, pillé, tué, en réaction à l’assassinat d’Ernst vom Rath, ce secrétaire d’ambassade du Reich, en poste à Paris, par un jeune juif polonais dont les parents venaient d’être expulsés d’Allemagne, avec des milliers de leurs ressortissants. C’était en 1938. On connaît la suite.
En France, de nombreuses voix se sont heureusement élevées contre la chasse à l’homme d’Amsterdam. Des indignations, aussi, contre les propos écœurants de certains députés LFI, promptes à justifier le pire. De quoi ne pas tout à fait désespérer.
À chaque nouvelle infamie, la petite musique de fond, en mode relativiste continue d’être jouée. « Oui… mais ils l’ont bien cherché, c’est un acte de résistance », a-t-on pu entendre dès le lendemain du 7-Octobre dans les rangs de l’extrême gauche française, sans qu’aucune compassion ne soit exprimée à l’égard des victimes des attaques terroristes. « Les footballeurs de Tel-Aviv ne sont pas les bienvenus dans les stades, ils n’ont rien à y faire », entend-on à présent, y compris dans les milieux sportifs, à propos de leur participation à la Ligue d’Europe de football. Bruxelles a refusé d’accueillir un match de la Ligue avec le Maccabi Tel-Aviv… qui pourrait dès lors se dérouler dans la capitale hongroise. Un renoncement qui fait tache et qui exprime une faiblesse coupable dans le combat contre l’antisémitisme que les démocraties doivent mener sans faiblir, avec les armes des États de droit.