Alain Barbanel, journaliste
Avec près de 67%, la très forte participation des électrices et électeurs aura été la seule bonne nouvelle de ce premier tour des législatives. Mais ce qui ne devait n’être qu’une mauvaise soirée électorale s’est donc transformé en cauchemar éveillé. Depuis les résultats des élections européennes, l’actualité politique de notre pays s’est précipitée sous l’impulsion du déclenchement par Emmanuel Macron de cette fameuse dissolution dont on a à peu près tout dit et tout écrit. Et nous voici face au mur, pris en étau à l’issue du premier tour des élections législatives, entre d’un côté le RN et de l’autre le Nouveau Front populaire dont la LFI qui s’impose comme le principal acteur du jeu pour un second tour où tout peut arriver. Une fois passé l’état de choc et de sidération d’une catastrophe annoncée, force est de comprendre, d’analyser, de rassembler les pièces du puzzle politique qui nous sautent au visage. Comment en sommes-nous arrivés là ? Depuis trois semaines, dès le soir de la dissolution, les extrêmes nous promettent la lune.
L’atterrissage sans parachute
Certes, on est habitué depuis des lustres : un programme politique électoral est fait pour ne jamais voir le jour, ou par petites éclaircies. On sait ce qu’il advient des réformes qui promettent le grand soir et qui, au gré des milliers d’amendements, finissent comme un plat de lentilles. Et la lune finit par s’éloigner au fur et à mesure qu’on s’en approche. Cette fois-ci, on atteint des sommets. Le RN a bâti sa campagne sur trois slogans publicitaires : le pouvoir d’achat, la sécurité et l’immigration, les deux derniers arguments ne faisant qu’un dans l’esprit de ses promoteurs. Il a suffi d’écouter leurs leaders pour, sans avoir fait l’ENA ou Polytechnique, se rendre compte que le détricotage de la réforme des retraites ramené à 60 ans, l’exonération des impôts pour les jeunes de moins de 30 ans, la suppression de la TVA pour une centaine de produits de première nécessité entre autres, n’étaient que des appâts pour attirer les électeurs et qu’ils creuseraient un peu plus notre dette lourde de plus de 112% de notre produit intérieur brut, soit un montant abyssal de plus de 3 000 milliards !
La dette justement. Ceux-là même qui reprochent à Emmanuel Macron d’avoir vidé les caisses, et d’avoir fait flamber notre déficit de plus de 1 000 milliards sous son mandat oublient de dire que le Covid-19 est passé par là, et que s’il ne l’avait pas fait, c’était des milliers d’entreprises, la plupart des PME et des TPE, qui auraient fait faillite sans les aides, entraînant des licenciements à la pelle. Sans évoquer ce fameux bouclier tarifaire pour juguler les hausses de l’énergie provoquées par la guerre en Ukraine. Résultat : pendant ces périodes de tous les dangers, le chômage a reculé, ainsi que l’inflation. Mais les cerveaux des opposants à la majorité en place, quelles que soient les époques, sont toujours hémiplégiques. Alors pour faire bonne figure et se protéger des cadeaux à tous les étages, l’extrême droite répète à satiété qu’il procédera à un audit financier de nos comptes publics, qui donnera le tempo des réformes annoncées. Sans doute n’ont-ils jamais entendu parler de la Cour des comptes qui chaque année publie un inventaire à la Prévert de nos dépenses publics. Encore un miroir aux alouettes pour amorcer le rétropédalage des offrandes annoncées, une fois cet audit réalisé.
L’argent magique n’existe pas
Car il n’y aura pas de miracle, et l’argent magique n’existe pas, sauf dans la fiction. Les agences de notation nous surveillent de près ainsi que la Banque centrale européenne qui nous a l’œil. On ne dira jamais assez que la France rembourse plus de 50 milliards d’emprunts par an, ce qui, au total, représente environ 45 000 € par habitant ! Et ne parlons même pas du remboursement du capital ! Promettre au peuple ce qui est irréalisable, à moins de s’asseoir sur les contraintes incontournables d’une réalité financière et économique qui sont ce qu’elles sont, c’est ce qu’on appelle du populisme. On a vu comment a fini la Grèce qui, à force de cavalerie, s’est retrouvée en défaut de paiement avec toutes les conséquences désastreuses que l’on connaît pour la population.
On ne dira non plus jamais assez que, concernant l’immigration, le ressort historique du FN-RN, agiter la création d’une double frontière est une aberration totale sauf à bafouer l’État de droit, la France étant tenue par des accords européens qui ne sont pas un jeu de mikado. Une double frontière ? Comment et par quelles entorses au droit européen dans l’espace de Schengen autorisant la libre circulation des personnes et des biens ? Faire croire qu’on peut s’enfermer dans son village gaulois en se repliant sur soi, c ‘est ni plus ni moins sortir de l’Europe et organiser un frexit dissimulé. C’est aussi ce qu’on appelle du populisme.
Même constat à propos des OQTF (« obligation de quitter le territoire français »), dont le RN nous rabat les oreilles en martelant que 7% d’entre elles sont exécutées. Faux. La France est loin d’être la moins bien placée, à l’échelle européenne, en matière d’exécution, le chiffre avoisine plutôt les 12% en 2023, dixit le Conseil d’État. Mais tous les OQTF seront exécutées nous promettent-ils. Comment, sans l’accord des pays d’origine pour autoriser leurs ressortissants à rejoindre leur sol ? Promettre de « nettoyer » la France de tous les indésirables pour « apaiser » les peurs, c’est ce qu’on appelle du populisme. Et la liste serait trop longue, y compris en matière de politique internationale, pour la traiter ici !
Les propositions hors sol du NFP
À l’opposé, la LFI de Jean-Luc Mélenchon n’est pas une débutante en matière de populisme… non plus. Le Chavez à la Française, promoteur de l’alliance bolivarienne qui a entrainé le Venezuela, pays historiquement le plus riche de l’Amérique Latine, dans la faillite, pourfendeur du grand capital, admirateur de Robespierre au sujet duquel il a préfacé un livre hagiographique « Robespierre l’innocent », qui annonce le retour de la Révolution française, un peu trop « clivant » pour ses proches pour rentrer à Matignon en attendant l’Elysée, est aussi le grand gagnant de ces élections. LFI, sous son étendard NFP, arrivée seconde après le RN au premier tour des législatives, qui l’eut cru il y a encore quelques mois ? Ce n’est plus la lune que son programme promet mais une arrivée sur mars en grandes pompes. Mesure phare électorale du NFP : l’augmentation du Smic à 1 600 euros net contre un peu moins de 1 400,00 aujourd’hui. Une offre généreuse en effet mais qui oublie des principes de base en économie. Le programme soutient que cette augmentation de l’offre entrainera les travailleurs à consommer davantage, donc à accroitre la production, ce qui bénéficierait à l’économie en général. Un principe de base des théories keynésiennes. Mais seulement sur le papier ! Car pour les entreprises, PME ou TPE peu performantes, cette augmentation entrainerait une hausse considérable du coût du travail, donc une moindre compétition, et à réduire leurs investissements avec des licenciements massifs de leurs effectifs. Quant à l’augmentation de la demande, dans un contexte de compétitivité déjà très dégradé, cela entrainera forcément une augmentation des importations et creusera davantage notre déficit extérieur, à l’exemple de ce qui s’était produit en 1981 avec, en sus, une explosion de l’inflation. Ce qui est présenté comme un cercle vertueux s’avère être une mesure hors sol qui ne correspond pas à la réalité de notre tissu d’entreprises déjà très fragilisées par la hausse de l’énergie et des matières premières, plombées également par des taux d’intérêts qui limitent leurs investissements.
Proposer des cadeaux sans tenir compte des réalités économiques et financières du pays, c’est aussi du populisme, certes de gauche, mais du populisme quand même. Les entreprises sont le moteur de l’économie, que cela plaise ou pas, et le carburant de la croissance. C’est un équilibre fragile dont le moindre faux pas conduirait à la catastrophe. La même analyse vaut pour l’augmentation des impôts pour les tranches les plus élevées jusqu’à 90% ainsi que le matraquage en matière des droits de succession, jusqu’à 100 % au-delà de douze millions d’euros. Comment imaginer une seconde que les bénéficiaires de ces revenus les plus hauts ainsi que les entrepreneurs ne délocaliseront pas largement leurs activités hors du territoire ? Ne pas prévoir l’avenir et le jour d’après quand on est aux responsabilités pour satisfaire à n’importe quel prix son électorat, sans se soucier des équilibres et des réalités du fonctionnement réel de l’économie est irresponsable et nous conduirait à la faillite. C’est encore du populisme !
Renouer avec les fondamentaux
Aux extrêmes, on dépense sans compter, avec des dépenses faramineuses avoisinant un coût supplémentaire pour l’État de centaines de milliards par an, en pensant que l’argent magique viendra renflouer les caisses, ce qui inévitablement provoquera une crise de la dette. C’est une fuite en avant suicidaire. Il est grand temps pour les forces sociales démocrates de se réveiller en renouant avec des fondamentaux qui étaient ceux du parti socialiste d’autrefois : égaliser les chances, promouvoir une redistribution juste et équitable qui ne soit pas confiscatoire, en favorisant les créations de richesse et de production. Le cercle vertueux. Ce n’est pas en rasant gratis qu’on redonnera la confiance. Mais c’est malheureusement le programme révolutionnaire de la LFI, loin, très loin d’un programme social-démocrate.