Alain Barbanel, journaliste
« Il n’y a pas de retour possible au statu quo tel qu’il existait le 6 octobre, a averti Joe Biden. Cela signifie s’assurer que le Hamas ne puisse plus terroriser Israël et utiliser les civils palestiniens comme des boucliers humains. Cela veut aussi dire que lorsque cette crise s’achèvera, il faudra une vision de la suite. Et, de notre point de vue, cela doit être la solution à deux États. » Washington, dont l’objectif affiché depuis le retrait des troupes américaines d’Afghanistan en 2021 était de se mettre en retrait de sa position de gendarme du monde, quitte à laisser derrière un champ de ruine, a rapidement été rattrapé par l’Histoire. L’attaque terroriste du Hamas conduit l’administration américaine à se remobiliser, pour ne pas dire, se « réintéresser » au sort du Proche-Orient, après avoir espéré que les accords de normalisation dits d’Abraham entre plusieurs pays arabes, dont l’Arabie saoudite, processus gelé depuis les événements du 7 octobre, allaient « étouffer » voire enterrer le conflit israélo-palestinien, qui faute de solution de paix viable pour les deux parties, allait s’éteindre de lui-même.
Illusion éphémère. Mobilisé sur le front de son soutien à l’Ukraine dans la guerre qui l’oppose à la Russie de Poutine, et surveillant de près les intimidations et provocations de la Chine sur Taïwan, Biden, au terme de sa rencontre en juillet 2022 avec le président palestinien, Mahmoud Abbas, claquemuré à Ramallah, avait définitivement jeté l’éponge. Concernant la relance des négociations et son soutien éventuel à deux États, il avait déclaré, usant des précautions d’usage diplomatiques : « Le terrain n’est pas fertile ». Autrement dit, en langage non diplomatique, on laisse pourrir…
Un fantasme et une gageure
Soit mais aujourd’hui confronté à une recrudescence d’attaques contre leurs bases en Irak et en Syrie, et craignant à juste titre un embrasement régional du conflit et un renforcement de l’arc chiite Iran-Syrie dans cette région du monde qui attiserait les ambitions du Kremlin dans son fantasme d’en découdre avec l’Occident directement ou par procuration, Washington n’a pas d’autres choix que de reprendre la main, quitte à brandir la possibilité d’un plan de paix de type Oslo version XXIe siècle. Mais quel plan de paix, quelle coexistence et surtout avec quels interlocuteurs ? La solution à deux État, à nouveau brandie par Biden relève aujourd’hui à la fois d’un fantasme et d’une gageure. Un fantasme fondé sur l’espoir de voir surgir après les atrocités un improbable modus vivendi à l’exemple de celui signé entre Menahem Begin et le président égyptien Anouar El-Sadate six ans après la guerre du Kippour en 1973, qui restera, comme le 7 octobre cinquante ans plus tard, l’un des grands traumatismes dans l’histoire d’Israël. Mais si cette guerre provoquée un jour de prière, avait été vécue comme une véritable humiliation pour l’État hébreu, elle avait été déclenchée par une armée dite « conventionnelle » et non par une milice de terroristes barbares exécutant un véritable crime contre l’humanité. D’où la gageure de croire à la possibilité d’une coexistence avec un pays qui reste à définir quant à ses territoires, et dont la grande majorité des habitants, a soutenu avec enthousiasme les atrocités commises par le Hamas.
Quel plan de paix, quelle coexistence et surtout avec quels interlocuteurs ? La solution à deux État, à nouveau brandie par Biden relève aujourd’hui à la fois d’un fantasme et d’une gageure.
Et sous quelle autorité ? Coté Ramallah, que reste-t-il de l’autorité palestinienne reléguée à un pouvoir vermoulu et corrompu en la personne de Mahmoud Abbas, au seuil de sa vie, dirigeant sans aucune ambition pour son peuple et ayant laissé le Hamas s’emparer du pouvoir à Gaza après les élections législatives de 2006 avant de décimer physiquement ses principaux lieutenants. Un président de pacotille en disgrâce aussi avec ses voisins arabes qu’il accuse d’avoir abandonné la cause palestinienne.
Des questions sans réponses depuis des décennies
Côté israélien, ce spectre d’une solution à deux États soutenue par une partie de l’opinion progressiste n’est pas d’actualité ; le pays est en guerre contre le terrorisme et se range comme un seul homme derrière une union sacrée d’apparence qui tiendra le temps de la guerre. « Il y a un temps pour la paix et un temps pour la guerre », a martelé Benjamin Netanyahou, chef de guerre provisoire dont le sort politique est scellé certes à l’issue de cette guerre mais surtout aux comptes qu’il devra rendre à l’opinion publique et à l’opposition sur les responsabilités du gouvernement concernant les manquements à la sécurité qui ont permis aux terroristes du Hamas de s’infiltrer le 7 octobre sans résistance sur le territoire israélien. Lui et son gouvernement devront s’expliquer sur les alertes pourtant pressantes qui n’ont visiblement pas été prises au sérieux et sur le transfert des régiments militaires sur la Cisjordanie pour protéger les colonisations, laissant les frontières avec Gaza quasiment sans protection autre que technologique, à l’exception de quelques postes frontières vite anéantis par les terroristes.
Quelle sera la personnalité politique qui émergera demain pour incarner la paix et la reprise des discussions sur l’éventualité d’un État palestinien de droit dont les territoires garantissent aussi la sécurité de l’État hébreu ?
Aussi le Premier ministre n’est-il pas en situation d’assurer le jour d’après et encore moins avec des membres d’un gouvernement représentés par l’extrême droite religieuse peu encline à céder sur le moindre point aux palestiniens. Et quelle sera la personnalité politique qui émergera demain pour incarner la paix et la reprise des discussions sur l’éventualité d’un État palestinien de droit dont les territoires garantissent aussi la sécurité de l’État hébreu ? Et sur quelles bases faisant resurgir le serpent de mer des éternelles questions jamais résolues depuis des décennies et des générations : quid des 700 000 colons israéliens implantés à Jérusalem-est et en Cisjordanie ? Sur quel socle politique fiable et démocratique un État palestinien peut-il se légitimer ? Avec ou sans l’autorité palestinienne et sur quelles prérogatives, tout en assurant la sécurité d’Israël ? Quel territoire géographique entre Gaza et la Cisjordanie ? Et, last but not least, quel statut pour Jérusalem ? Autant de questions sempiternelles jusqu’à présent sans réponse qu’il faut garder en mémoire avant même d’évoquer un double État !
Comment se débarrasser d’une utopie fanatique ?
Enfin, autre incertitude, l’éradication du Hamas, et à quel prix, annoncée par Tsahal, sonnera-t-elle pour autant le glas du terrorisme islamiste dans la région ? Comme l’explique parfaitement le chercheur Hugo Micheron dans son dernier ouvrage[Hugo Micheron, La colère et l’oubli. Les démocraties face au jihadisme européen, Paris, Éditions Gallimard, 2023, 400 pages, 24,00€], on ne vient jamais à bout d’une idéologie religieuse qui, chez les jihadistes candidats au martyr, a valeur d’utopie fanatique. Et le spécialiste du Proche-Orient de rappeler que l’effondrement de l’État islamique au levant avait été salué comme « l’effondrement du militantisme jihadiste » au printemps 2021… quelques mois avant le retour des talibans à Kaboul. Et dix ans après les attentats du 11-Septembre, l’élimination de Ben Laden conjuguée par l’espoir suscité par les printemps arabes, laissaient espérer « la fin du jihad global ». C’était sans compter sur ce nouveau cap franchi un peu plus tard en Syrie par Daech…
Le jour d’après risque bien de s’annoncer à nouveau comme un jour sans lendemain.