Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif)
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« Le judaïsme, c’est l’universalisme comme fin et le particularisme comme moyen » : on prête à Elie Benamozegh, rabbin et philosophe italien du XIXe siècle, cette formule qui, mieux que de longs textes, illustre l’attachement juif à l’universalisme.
Comme tant et tant de militants juifs avant moi, jamais ne m’est apparu de contradiction entre le combat pour la condition des Juifs et celui pour la dignité de tous les autres hommes et femmes. Mon engagement juif s’est ainsi toujours fondu dans une perspective naturellement universaliste : alors, à l’heure où certains voudraient mettre les combats en compétition et les mémoires en concurrence, il m’apparaît opportun de prendre ces quelques lignes pour revenir sur cette passion juive pour l’universalisme.
Une inquiétude de rigueur pour tous
À sa manière, le poète Edmond Fleg l’avait également exprimé : « Je suis juif, parce qu’en tous lieux où pleure une souffrance, le juif pleure. Je suis juif, parce qu’en tous temps où crie une désespérance, le juif espère. » L’histoire de la Licra, comme celle du Crif, regorge de figures imprégnées de ces idéaux. Mais qu’est-ce que ces idéaux nous disent de la situation actuelle de la société française ?
D’abord que si l’on considère l’antisémitisme comme un sismographe de notre état de santé démocratique, comme le sont la condition des femmes ou des personnes LGBT, alors la persistance dans la France d’aujourd’hui d’un haut niveau de haine des Juifs doit être entendue comme une alerte pour tous. Sous ses multiples formes, traditionnelles mais aussi contemporaines (notamment le complotisme, l’islamisme et la haine d’Israël), l’antisémitisme s’infiltre dans la rue, dans les cours d’école, sur les réseaux sociaux et partout où les fragilités de l’esprit humain veuillent bien le laisser entrer. Or, si l’antisémitisme commence avec les Juifs, il ne s’arrête pas aux Juifs : l’inquiétude doit donc être de rigueur pour tous.
Jamais ne m’est apparu de contradiction entre le combat pour la condition des Juifs et celui pour la dignité de tous les autres hommes et femmes.
Ensuite, cette fonction universaliste du combat contre l’antisémitisme est sans doute une raison supplémentaire de préserver la conscience de ses spécificités. À ceux qui s’indignent qu’un mot soit consacré à désigner la seule haine des Juifs (comme s’il s’agissait d’un privilège !), rappelons bien entendu l’histoire singulière de l’antisémitisme mais soulignons aussi ses particularités. Par exemple, en France aujourd’hui, si les Juifs font moins l’objet de discriminations, ils courent davantage de risque d’agressions : pour moins de 1 % de la population, ils concentrent en 2022 près de 61 % des agressions physiques antireligieuses dans notre pays.
Jean-Paul Sartre, en son temps, avait décrit par ces mots la communauté de destin qui unit les Juifs à l’ensemble des Français : « Pas un Français ne sera en sécurité tant qu’un Juif, en France et dans le monde entier, pourra craindre pour sa vie. » Ainsi, hier comme aujourd’hui, faire face à l’antisémitisme, c’est faire œuvre utile pour la France et tous les Français. Et inversement.
Réclamer toujours plus de République
Bien-sûr, le combat contre l’antisémitisme ne saurait être mené qu’aux côtés de tous les autres. Dans une République prônant l’égalité et la fraternité, il ne peut y avoir d’échelle d’indignation pour apprécier les discriminations. Une haine est une haine, un crime est un crime, et nous partageons tous un attachement sincère à l’universalisme, cet idéal qui clame qu’il faut à la fois plus de République et la même République pour tous.
Mais je crois intimement qu’il y a en commun entre la République et sa composante juive, une histoire partagée depuis l’émancipation des Juifs de France en 1791, faite d’un attachement indéfectible à l’esprit de résistance. Affaire Dreyfus, Shoah, Résistance, antisémitisme contemporain… : face à la haine, la République sait que le chemin du renoncement et du fatalisme lui est interdit. Dans leur histoire, les Juifs ont toujours démontré que seul le refus du défaitisme peut permettre, au cœur de l’hiver, de trouver la ligne de crête vers un avenir plus vertueux. Ainsi, forts de cette double conscience singulière et de cette ambition universaliste, les Français Juifs seront toujours en première ligne, aux côtés de la Licra, dans le combat contre le racisme, l’antisémitisme et toutes les discriminations.