Valérie Igounet, historienne
Article paru dans Le DDV n° 688, automne 2022
« Le Rassemblement national et Marine Le Pen n’ont absolument rien à se reprocher dans [l]e domaine [de l’antisémitisme]1Interview de Jean-Philippe Tanguy sur Franceinfo le 3 août 2022. », affirmait le député RN de la Somme Jean-Philippe Tanguy au mois d’août. Ses propos faisaient suite aux paroles d’Éric Dupont-Moretti prononcées le 2 août à l’Assemblée nationale. Le ministre de la Justice était alors revenu sur l’ADN antisémite du Front national, et plus précisément sur le « point de détail du père fondateur et ses différentes condamnations ».
Pour le RN, le sujet de l’antisémitisme n’en serait donc plus un. Et d’ailleurs, il ne le concernerait plus vraiment. Premièrement, comme beaucoup de membres du RN l’affirment aujourd’hui, l’antisémitisme se situerait de l’autre côté de l’échiquier politique, à l’extrême gauche, au « carrefour de l’islamo-gauchisme2Titre d’une tribune parue dans l’hebdomadaire Valeurs actuelles le 10 août 2022, signée par le député des Bouches-du-Rhône Franck Allisio. ». Deuxièmement, le RN devrait même être considéré comme le meilleur rempart contre l’antisémitisme, ce « verrou idéologique3Propos recueillis auprès de Louis Aliot et cités par Valérie Igounet dans Le Front national de 1972 à nos jours, Paris, Seuil, 2014. » qui empêchait les électeurs de voter pour le parti lepéniste, selon Louis Aliot. Rappelons que le RN va jusqu’à tenter des rapprochements avec la communauté juive tout en se présentant comme son meilleur allié. Troisièmement, le FN du père n’aurait plus rien à voir avec le parti « dédiabolisé » de la fille. Dans ses vœux à la presse du 26 janvier 2022, Marine Le Pen a une nouvelle fois affiché la ligne officielle du RN sur l’antisémitisme : « Le meilleur moyen de régler le problème de l’antisémitisme, qui pousse nos compatriotes juifs à quitter des quartiers, c’est d’éradiquer définitivement l’idéologie islamiste dans notre pays. »
Des candidats qui détonnent
Mais les choses ne sont évidemment pas si simples car il existe un décalage indéniable entre les instances dirigeantes et certains représentants du parti, sans oublier les électeurs de Marine Le Pen et les sympathisants du RN. Il n’y a qu’à revenir sur quelques profils de candidats aux dernières législatives qui ont usé de l’antisémitisme ces dernières années et qui ont été investis par le parti.
Joëlle Nambotin Gobbi, candidate dans la 5e circonscription de l’Ain, avait ainsi partagé sur les réseaux sociaux plusieurs publications racistes et antisémites dont un visuel véhiculant des mensonges antisémites éculés selon lesquels les Rothschild contrôleraient le monde, auraient « financé toutes les guerres » parce qu’ils sont « malins » et que tout leur « appartient »4 « Législatives : Ces candidats RN prouvent que le parti n’en a pas fini avec la diabolisation », HuffPost, 20 mai 2022.. L’usage, donc, d’un ensemble de codes liés au « mythe du complot juif mondial » avec l’idée que la famille Rothschild dirige le monde via les banques et les médias sans oublier une allusion à la fake news de la « loi Rothschild ». La candidate du RN dans la 12e circonscription de Paris Agnès Pageard, de son côté, avait entre autres invité à « relire » le collaborationniste Henry Coston ou son disciple Emmanuel Ratier comme l’a relevé Libération5« Dédiabolisation au RN : encore des ratés aux législatives », Libération, 20 mai 2022.. Elle a aussi régulièrement fait usage du mot codé à caractère antisémite « Qui ? » tout en apportant son soutien à l’ancienne candidate du Front national Cassandre Fristot, ayant brandi lors d’une manifestation contre le passe sanitaire le 7 août 2021, à Metz, une pancarte antisémite, condamnée à l’automne dernier à six mois de prison avec sursis. Quant à Anne Jacqmin, candidate RN dans la 1re circonscription des Yvelines, elle avait choisi comme suppléant Bruno Gollnish. L’ancien numéro deux du FN, membre actuel du bureau du RN, s’est illustré régulièrement par ses déclarations et compagnonnages en lien avec l’antisémitisme et le négationnisme.
« Génocide anti-Français »
La liste de ces candidats qui n’ont pas passé le premier tour pourrait être poursuivie, s’étendre à ceux présents au second tour mais aussi aux députés RN fraîchement élus. Celui de la 7e circonscription du Var et conseiller régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur, Frédéric Boccaletti, qui s’était affiché début 2013 à la Manif pour tous avec le leader du British National Party et négationniste Nick Griffin. En 2008, cette tête de liste à Six-Fours-les-Plages et adhérent au FN depuis les années 1990 avait conduit la liste d’union Parti populiste-FN. Un Parti populiste qui aura tenu peu après son université de rentrée dans la municipalité avec la présence d’Alain Soral et de l’avocat des négationnistes Éric Delcroix. En 1997, Frédéric Boccaletti était aux commandes de la librairie négationniste toulonnaise Anthinéa, du titre d’un livre de Charles Maurras.
36 % des sympathisants du RN valident l’idée selon laquelle il existerait un complot sioniste à l’échelle mondiale.
La députée du Pas-de-Calais Caroline Parmentier, elle, considérait elle, le 31 mai 2018, dans le quotidien d’extrême droite Présent, qu’ « après avoir “génocidé” les enfants français à raison de 200 000 par an, on doit maintenant les remplacer à tour de bras par les migrants ». Cette proche de Marine Le Pen depuis 2019 renouait ainsi avec une dénonciation somme toute classique au temps de Jean-Marie Le Pen, celle d’un « génocide anti-français » tout en mettant à l’honneur la thématique du grand remplacement. Une sémantique abondamment utilisée au FN pendant les années 1970 pour établir un rapprochement entre le nazisme et la légalisation de l’IVG.
Une dédiabolisation inachevée
Si l’antisémitisme concerne certains représentants du RN, il faut souligner qu’au regard du spectre politique, il est particulièrement répandu parmi les électeurs de Marine Le Pen et ceux du RN. Plusieurs études l’ont mis en évidence. Le quatrième volet de l’enquête sur le complotisme, menée par la Fondation Jean-Jaurès et l’Observatoire du conspirationnisme, montrait qu’en 2018 ce sont les électeurs de Marine Le Pen à la présidentielle de 2017 et les sympathisants du RN qui étaient le plus perméables aux thèses complotistes. Une personne sondée sur cinq (22 %) était d’accord avec l’idée selon laquelle « il existe un complot sioniste à l’échelle mondiale ». Les électeurs de Marine Le Pen étaient surreprésentés pour cet énoncé : 31 % l’approuvaient ; 36 % des sympathisants du RN (trois fois plus que ceux de La République en marche) le validaient. La « Radiographie de l’antisémitisme en France » édition 2022 de la Fondapol et de l’American Jewish Committee le met en évidence une nouvelle fois. L’affirmation selon laquelle « les juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance » est partagée par 39 % de l’électorat de Marine Le Pen et par 33 % des sympathisants du Rassemblement national. Pas moins de 39 % de ces derniers considèrent également que les « juifs utilisent aujourd’hui dans leur propre intérêt leur statut de victimes du génocide nazi pendant la Seconde Guerre mondiale ». Ces données s’interprètent en regard de l’histoire du FN-RN. La dédiabolisation du RN est loin d’être achevée, même si Marine Le Pen et une partie de son entourage ont rejeté officiellement l’antisémitisme et le négationnisme.
Un dernier aspect doit être mis en avant : le RN supporte encore moins aujourd’hui qu’on le qualifie d’antisémite. Une plainte a été déposée à l’encontre du docteur Jérôme Marty qui avait déclaré dans Les Grandes Gueules de RMC que le RN était selon lui « un parti raciste, xénophobe et antisémite ». Des propos « inqualifiables » peut-on lire dans un communiqué du 26 avril 2022, signé Jordan Bardella, qui se poursuit ainsi : « Si le débat et la contradiction sont sains en démocratie, le Rassemblement national ne laissera en revanche passer aucune insulte visant ses électeurs, ses élus, ses adhérents ou ses militants. Les 13,3 millions de Français électeurs de Marine Le Pen ont droit au respect : nous y veillerons sans transiger. »
On aimerait qu’un même degré d’intransigeance s’applique dans les rangs du Rassemblement national, ainsi que chez ses électeurs et sympathisants.
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