Dora Staub, journaliste
L’inquiétude monte à l’étranger face au risque d’une victoire de la candidate Rassemblement national dimanche 24 avril, car un important changement de cap de la diplomatie française en résulterait. « Bruxelles voit la victoire de Marine Le Pen comme la fin du monde. L’existence même de l’Union européenne serait menacée », a déclaré ainsi à L’Obs Enrico Letta, le président de l’Institut Jacques-Delors, ancien Premier ministre d’Italie et actuel chef de file du Parti démocrate.
Pour confirmer sa stature présidentiable, Marine Le Pen a présenté le 13 avril dernier son programme de politique étrangère, et s’est positionnée d’emblée en rupture avec celle menée par Emmanuel Macron. Elle a annoncé une série de changements de taille, comme la reprise des relations diplomatiques avec la Syrie, l’instauration de nouvelles conditions avec l’Algérie, ou la volonté de mettre fin à une « soumission » à l’égard de la Chine.
Un Frexit sans Frexit
Attendue sur l’Europe, la candidate RN a martelé « le Frexit n’est pas notre projet ». Elle a certifié ne pas vouloir sortir de l’Union européenne, mais se libérer du « carcan de Bruxelles », et réformé celle-ci de l’intérieur. Des positions donnant raison au quotidien italien Corriere della Serra qui, quelques jours auparavant, avait alerté sur les dangers en cas de victoire de la candidate du RN : « Sa proposition de réforme de l’Union européenne est en fait l’abolition de l’Union européenne. C’est la fin de la libre circulation, c’est le refus de la dette commune, le rejet de l’armée européenne, de la diplomatie européenne, de la fiscalité européenne. C’est l’idée que les Français sont meilleurs que le reste de l’humanité. »
Avec l’Allemagne, qui reste un partenaire privilégié de la France, elle veut instaurer de nouvelles relations, car elle constate des « divergences stratégiques irréconciliables », notamment sur le nucléaire, et souhaite arrêter « l’ensemble des coopérations avec Berlin sur le plan militaire ». Acerbe, elle qualifie « le moteur franco-allemand de l’UE » de « quasi-fiction » aujourd’hui. Der Spiegel titrait, au lendemain de sa conférence de presse : « Le Pen attaque l’Allemagne ».
Toujours Outre-Rhin, le quotidien Süddeutsche Zeitung s’était aussi alarmé après le premier tour : « Il est grand temps que les Allemands réalisent que les chances d’une victoire de Le Pen cette fois sont nettement plus élevées qu’en 2017. Emmanuel Macron a activement entretenu l’amitié franco-allemande. Marine Le Pen promet de réduire sévèrement les relations avec Berlin. Pour l’Allemagne, une victoire de Le Pen aurait des conséquences beaucoup plus directes et drastiques que la victoire électorale de Donald Trump aux États-Unis en 2016. » De même pour Die Zeit, l’hebdomadaire allemand de centre gauche, son élection aurait des effets « considérables », avec un affaiblissement du flanc est de l’Otan et de l’unité occidentale affichée au sujet de l’Ukraine.
Rapprochement avec la Russie…
Alors que la guerre fait rage en Europe, Marine le Pen réitère sa volonté de sortir du commandement intégré de l’Otan, tout en restant dans l’organisation, comme l’était la France entre 1966 et 2009, et en bénéficiant de l’aide mutuelle entre pays membres. L’objectif : ne pas se « soumettre » à un protectorat américain. « Concrètement, Marine Le Pen veut quitter le commandement intégré de l’Otan », prévient le journal berlinois de gauche Tagesspiegel. « Cela aurait des conséquences terribles » dans le contexte ukrainien, ajoute-t-il. « En effet, les troupes françaises qui protègent actuellement le territoire de l’Alliance atlantique sur le “flanc est”, c’est-à-dire aux pays Baltes et en Roumanie, seraient très probablement démobilisées. »
Malgré les crispations autour de cette question, Marine Le Pen défend un « rapprochement stratégique » entre l’Alliance et la Russie, une fois la guerre en Ukraine terminée, et « réglée par un traité de paix ». Ses relations passées avec Vladimir Poutine et le maintien du dialogue avec lui sont, argumente-t-elle lors de sa conférence, dans « l’intérêt de la France ». Elle rappelle à ce sujet que Macron a eu la même position. Le New York Times avait toutefois relevé une différence de taille : « Emmanuel Macron veut transformer l’Europe en une puissance militaire crédible. Marine Le Pen, dont le parti a reçu des financements d’une banque russe et, plus récemment, d’une banque hongroise, a d’autres priorités. »
Viktor Orban, le modèle illibéral
Pour conclure, il faut rappeler les liens que la candidate du Rassemblement national a toujours entretenu avec les « démocrates illibéraux » que sont Viktor Orban en Hongrie et Mateusz Morawiecki en Pologne. Sont-ils pour elle un modèle de gouvernance, comme l’avait pointé le Financial Times ? Elle n’a pas attendu pour féliciter le dirigeant hongrois Viktor Orban pour son maintien à la tête du pays, bien qu’il soit accusé par l’Union européenne de violation de l’État de droit, d’entraves à la liberté d’expression et de corruption. « Au mieux, Le Pen n’est pas troublée par les péchés d’Orban. Au pire, elle les voit comme un modèle pour la France », commentait le journal britannique. Une proximité qui se retrouve aussi dans la volonté de Marine le Pen d’organiser, des référendums sur tout type de sujets, comme le fait le populiste hongrois pour asseoir sa légitimité.
Ce nouvel ordre mondial, que la candidate d’extrême droite veut mettre en place, inquiète à juste titre : il apparaît comme une menace pour la stabilité de l’Europe et pour les valeurs démocratiques partagées par l’Occident.
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