Alain Barbanel, journaliste
Un proche m’a récemment avoué qu’il s’abstiendrait au second tour de l’élection présidentielle le 24 avril prochain. La raison, dit-il, tient au fait qu’il ne veut plus se laisser imposer un vote. Bref, il ne veut plus voter uniquement pour faire obstacle à l’extrême droite. Un choix motivé aussi par son rejet du président sortant qu’il tient pour responsable du naufrage des partis de gouvernement traditionnels, LR et PS, qui se sont partagé le paysage politique depuis des décennies. Alors, pour sanctionner la politique du « en même temps », l’abstention lui semble être le meilleur choix.
Et, pour couper court à la discussion, il a fini par avouer : « De toute façon, la politique ne m’intéresse plus. Et les Français ont ce qu’ils méritent. Peut-être ont-ils encore besoin de descendre un peu plus au fond de la piscine pour pouvoir rebondir ! »
J’ai eu beau répondre : « si tu ne t’intéresses pas à la politique, la politique s’intéresse à toi », rien n’y a fait, sa décision était prise. Le président Macron est responsable de tous les maux. Il est l’alpha et l’oméga du malheur français. Il avait promis une révolution en 2017, et le voilà à son tour à deux doigts d’être dégagé au profit d’une candidate dont le père en 2002 avait fait contre Chirac… 17,79 % des suffrages au second tour.
17,79 % ? Cherchez l’erreur ! Il est vrai qu’à l’époque, un front républicain quasi unanime s’était constitué pour faire bloc contre le leader du Front national. Le « tout sauf Le Pen » avait un sens, quitte pour beaucoup à voter Jacques Chirac en se bouchant le nez !
Mais qui a dégagé qui ?
Mais où sont donc passés aujourd’hui les manifestations et les mobilisations à quelques jours du second tour ? Le relativisme serait-il le grand victorieux de ces élections ? Si la presse réagit, craignant pour la liberté d’expression contre laquelle Marine Le Pen a déjà donné quelques coups de canif pendant sa campagne, l’opinion publique, elle, semble bien molle. Le dégagisme aurait-il aussi atteint la conscience politique ? Où est passé ce fameux « cordon sanitaire » contre l’extrême droite, un mot qui a quasiment disparu de la scène publique ?
J’ai alors tenté auprès de mon ami un ultime rappel historique. Car, au fond, si l’on refait le film, qui a dégagé qui ? François Fillon rattrapé par ses affaires en pleine élection en 2017, laissant une droite en déshérence ? François Hollande choisissant de ne pas se représenter, une première dans l’histoire de la Ve République, laissant une gauche orpheline ? Et un Lionel Jospin qui nous avait promis un « devoir d’inventaire » en 2002 après son éviction au premier tour derrière Le Pen père, mais qu’on attend toujours ?
En démocratie, les paysages laissés en friche sont rapidement récupérés par les extrêmes et la cacophonie est un terreau fertile pour les populismes de droite comme de gauche. Celle où celui qui éructe le plus fort en promettant la lune ramasse souvent la mise.
Mais rien n’y a fait. Mon explication était inutile.
Est-ce vraiment la France que tu veux ?
Je tente alors le tout pour le tout, essayant de trouver les arguments pour raviver sa fibre citoyenne.
S’abstenir, c’est donner un chèque en blanc à une candidate d’extrême droite qui veut casser le pacte républicain en utilisant des référendums à répétition, sur des sujets cruciaux pour détourner le débat parlementaire – immigration, droit d’asile, préférence nationale, défense, Europe… –, voire réformer la Constitution à la hache en se passant des sages mais aussi du conseil d’État. C’est accepter le principe d’un coup d’État permanent. Est-ce vraiment la France que tu veux ?
S’abstenir, c’est accepter le principe de lois liberticides et discriminatoires. Quand bien même l’autorité de l’État peut et doit être respecté, il ne faut jamais oublier qu’il est aussi de son devoir de respecter les droits fondamentaux qui font notre nation. Est-ce vraiment la France que tu veux ?
S’abstenir, c’est prendre le risque non fantasmé d’isoler la France de ses partenaires et voisins européens mais également de la scène internationale a un moment où plus que jamais il faut être unis pour faire face à une guerre à nos frontières. Est-ce vraiment la France que tu veux ?
S’abstenir, c’est accepter de continuer à considérer Poutine comme un interlocuteur « normal » et lui proposer même des petits arrangements comme si rien ne s’était passé… en fermant les yeux sur les crimes de guerre et les exactions. Est-ce vraiment la France que tu veux ?
S’abstenir, c’est aussi cautionner un programme économique désastreux qui creusera encore plus notre dette au risque de se retrouver en défaut de paiement avec les conséquences que l’on sait !
C’est aussi rejoindre le clan des climato-sceptiques. Fini le mix énergétique, on abat toutes les éoliennes et l’on n’hésitera pas à réactiver le charbon ! Est-ce vraiment la France que tu veux ?
Alors, cher ami, désolé, mais ce désintérêt pour la politique me rappelle toujours cette phrase célèbre du pasteur Martin Niemöller1Interné à Dachau, le pasteur Martin Niemöller (1892–1984) a été libéré par les alliés en 1945. Ce texte, présenté sous forme de poème, est souvent cité pour dénoncer les risques de l’indifférence vis-à-vis de la politique. : « Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit car je n’étais pas communiste. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit car je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai rien dit car je n’étais pas juif. Et quand ils sont venus me chercher, il n’y avait plus personne pour me défendre. »
À méditer avant le 24 avril prochain.
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Dossier « Faire taire la haine », consacré à la loi contre le racisme du 1er juillet 1972, dans le n° 686 printemps 2022
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