Isabelle de Mecquenem, agrégée de philosophie, directrice adjointe du Réseau de recherche sur le racisme et l’antisémitisme, membre du Conseil des sages de la laïcité
Dans Mes pensées Montesquieu met en scène une célèbre prostituée de l’Antiquité, nommée Phryné, pour évoquer le moment critique où la vérité se dévoile en politique : « Les princes jouent dans la politique au jeu de Phryné. Elle était à table avec des femmes fardées : on joua ce jeu où chaque convive ordonne à son tour ce que tous les convives doivent faire ; elle ordonna que l’on portât de l’eau et qu’on se lavât le visage. Phryné resta dans sa beauté naturelle, et tout le reste devint hideux. »
De cette parabole qu’on est bien sûr tenté d’étendre à la politique internationale et à Poutine en particulier, on peut hélas aussi penser qu’elle se montre très appropriée au sujet de la situation française après le premier tour de l’élection présidentielle. On comprend alors que « le jeu de Phryné » correspond au moment de révélation de la vérité qui pourrait être celui dans lequel nous entrons. Après l’étape de séduction rhétorique en faisant prévaloir l’argument du « pouvoir d’achat » et la flatterie identitaire, le discours agressif d’un national-populisme fondé sur la doctrine de la « priorité nationale » va se déverser publiquement, à visage découvert.
Dans un article de la revue Le Débat paru en 2017, l’historien Ran Halévi rappelait le statut fondamental de la vérité en politique à la lumière de l’histoire du XXe siècle : « En politique, le rapport à la vérité participe de la nature du régime. Il n’a ni le même sens, ni les mêmes fins, ni la même portée selon que l’on vit sous une démocratie libérale ou un gouvernement totalitaire. » Dans la même perspective, Marcel Gauchet déclare dans l’entretien qu’il a donné dans le DDV n° 686 : « Il y a une exigence de vérité en démocratie qui n’est pas remplie. »
Mais qu’est-ce que la vérité en l’occurrence et quel peut bien être son sens politique et démocratique ? Transposée en ce domaine, elle n’est plus en effet une norme abstraite et éthérée. Elle guide non seulement quotidiennement les scientifiques, les journalistes, les juges mais aussi tous les citoyens par l’effet même du sens critique éclairé que leur a donné l’école dès le plus jeune âge. Elle forme alors une valeur au sens exact et plein du terme, celui que lui attribuait Max Weber quand il écrivait que la vérité « est ce qui veut valoir pour tous ceux qui veulent la vérité1Max Weber, Essai sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1965, p. 171. ». Il faut donc vouloir la vérité pour qu’elle rayonne de tout son éclat en politique comme le pur visage de Phryné et, si tous la veulent, c’est alors que nous sommes et serons dans une démocratie vivante.
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Dossier « Faire taire la haine », consacré à la loi contre le racisme du 1er juillet 1972, dans le n° 686 printemps 2022
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