Par la rédaction
Les faits
La loi contre le racisme, adoptée à l’unanimité des deux chambres, fut promulguée le 1er juillet 1972. Elle est souvent évoquée sous le nom de « loi Pleven », du nom du ministre de la Justice en exercice à l’époque, René Pleven (1901-1993). Intégrée dans la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, elle sanctionne l’injure raciste, la diffamation, la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une « race » ou une religion déterminée. Elle autorise les associations dont l’objectif de lutte contre le racisme est inscrit dans les statuts, et qui ont une existence de cinq ans, à se constituer parties civiles lors d’un procès.
Éric Zemmour, candidat à l’élection présidentielle, souhaite explicitement l’abrogation de cette loi qui, d’après lui, serait liberticide. Pour le polémiste, le dispositif servirait à bâillonner les Français, à empêcher que la vérité soit dite au sujet de l’immigration, de l’identité, de l’Histoire… à les maintenir, en définitive, sous un joug idéologique favorisant le « grand remplacement ». L’argument n’est pas nouveau : c’est une rengaine de la presse d’extrême droite (Rivarol, Aspects de la France, Minute…) depuis l’adoption de la « loi Pleven». Le polémiste va, en la matière, à l’encontre du sentiment des Français qui, dans un récent sondage, se disaient à 88 % attachés à ladite loi.
Le 16 décembre 2021, invité de la matinale de France Inter, Éric Zemmour répondait aux questions de Léa Salamé et de Nicolas Demorand. Interrogé en toute fin d’émission sur ses intentions quant à la loi contre le racisme, le candidat réaffirmait sa volonté de l’abolir. Avec l’aplomb qu’on lui connaît, le candidat à la présidentielle se référait au témoignage de l’artisan et rapporteur de la loi, Alain Terrenoire, alors député de la Loire (UDR, 1968-1973), pour dire que l’esprit originel de la loi avait été dévoyé. Terrenoire complice de Zemmour ? Ce dernier ne fut pas contredit par les journalistes. Quant au démenti d’Alain Terrenoire qui leur a été adressé le jour même, il ne fut pas non plus publié sur le site de France Inter.
Alors que la rédaction du DDV prépare pour le printemps un numéro spécial sur les cinquante ans de cette loi, Alain Terrenoire lui a transmis une copie de ce courrier adressé à France Inter et l’a autorisé à le publier. Ainsi, sur ce point, la vérité peut-elle être rétablie. Comme il faudrait rétablir la vérité sur d’autres points de l’interview, notamment cette affirmation sans fondement : « Sous la IIIe République on pouvait attaquer quelqu’un qui vous traitait de façon raciste et il était condamné. » Oui, sous la IIIe République, le 21 avril 1939, il fut bien adopté le décret Marchandeau qui permit les condamnations (sans lendemain au regard de la conjoncture internationale) de quelques propagandistes hitlériens à l’été 1939. Mais, sous la IIIe République, n’en déplaise au dilettante, on pouvait librement exprimer son racisme et son antisémitisme : il n’y avait pas de loi et il n’y eut jamais de condamnation à ce titre. Est-ce à cette situation que souhaite revenir le candidat Zemmour ?
Le lecteur pourra lire ci-dessous le verbatim de la séquence diffusée le 16 décembre 2021 sur France Inter. Il pourra lire ensuite la mise au point d’Alain Terrenoire.
Verbatim
Léa Salamé : Abrogerez-vous la loi Pleven de 1972 adoptée pour lutter contre le racisme en France et la loi Gayssot de 90 qui réprime tout acte ou toute parole raciste, antisémite ou xénophobe et qui crée le délit de négationnisme du génocide des juifs ? Est-ce que vous les abrogerez ces deux lois ?
Éric Zemmour : Deux choses. Un, c’est pas la même chose. La loi Pleven, je l’abolirai, pour deux raisons très simples. Un, elle a été dévoyée par les juges. J’ai parlé avec le véritable auteur de cette loi, M. Terrenoire, qui m’a expliqué que ce n’était pas du tout l’objet que de faire une loi liberticide comme elle a été utilisée par les juges de gauche. Et deuxièmement…
Léa Salamé : Donc le racisme redeviendra une opinion et pas un délit, c’est ça ?
Éric Zemmour : Non, non, mais ça, c’est un mythe. Vous pouvez très bien attaquer quand vous êtes diffamé. Sous la IIIe République on pouvait attaquer quelqu’un qui vous traitait de façon raciste et il était condamné. Voilà, ça, c’est un moyen pour les juges et pour les minorités d’instrumentaliser la justice dans le débat politique. Et deuxièmement, cette loi interdit de faire une différence entre les Français et les étrangers. Moi je fais une différence entre les Français et les étrangers. Et dernière chose, cette loi permet à des associations d’ester en justice, ce qui leur permet d’instrumentaliser la justice pour des raisons politiques. Donc oui, j’enlèverai ce droit aux associations.
>> visionner la séquence
Courrier d’Alain Terrenoire daté du 16 décembre 2021, adressé à Léa Salamé et Nicolas Demorand
Madame, Monsieur,
Ce matin, à la fin de votre interview de M. Éric Zemmour, ce dernier m’a mis en cause à propos de la loi du 1er juillet 1972 qu’il souhaiterait faire abroger, s’il était élu président de la République. Cette loi vise à condamner le racisme, l’antisémitisme et toutes les discriminations se rapportant à la « race », à la religion, à l’ethnie, ainsi que toutes les incitations discriminantes concernant des groupes de personnes. Cette loi a permis aux associations, compétentes en ces domaines, de pouvoir se porter parties civiles auprès des tribunaux. Non seulement cette loi a été reconnue comme un progrès significatif et indispensable dans notre société démocratique, vigilante sur le respect des droits de l’homme, mais plus encore, elle a servi de cadre à d’autres législations qui l’ont élargie dans des domaines particuliers.
À tort, les médias l’appellent « loi Pleven ». En effet, il s’agit d’une proposition de loi, d’origine parlementaire, que j’ai rédigée avec le concours de mes collègues de la commission des lois de l’Assemblée nationale et le soutien du MRAP et de la Licra, comme les archives de l’Assemblée nationale peuvent en attester. Le ministre de la Justice de l’époque, René Pleven, guère favorable à cette nouvelle législation, a fini par lui donner l’accord du gouvernement, grâce au soutien du Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas.
Je l’ai rapportée et elle a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale la plus majoritairement gaulliste de la Ve République.
Au titre de cette loi, M. Zemmour a été condamné. D’autres procédures contre lui, au regard des mêmes dispositifs, sont en cours. Comme il voulait connaître les motivations du législateur, je l’ai reçu et je les lui ai fournies. Et, je lui ai effectivement confirmé que cette loi ne visait d’aucune façon l’expression légitime d’opinions contribuant au débat démocratique.
La loi de 1972 concerne clairement les atteintes racistes, discriminantes qui sont non seulement inacceptables, mais plus encore condamnables.
Bien évidemment, je ne peux que vouloir, avec la plus grande fermeté, qu’elle reste en vigueur et qu’elle soit appliquée.
Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes respectueuses salutations.
ALAIN TERRENOIRE