Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch
(Article paru dans Le DDV n°684, automne 2021)
Cent quarante ans après l’adoption des lois Ferry rendant l’instruction gratuite, laïque et obligatoire, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que cette grande avancée républicaine compte encore aujourd’hui des ennemis farouches. L’affaire de l’enlèvement de Mia Montemaggi, une fillette de 8 ans kidnappée en avril dernier par un groupe de pieds nickelés complotistes, a permis de braquer les projecteurs sur une mouvance extrémiste s’affranchissant des lois de la République et pour qui l’école publique est un lieu de dépravation en même temps que l’instrument d’une obscure manipulation politique.
L’opération, qui consista à soustraire une petite fille à la garde de sa grand-mère pour la remettre à sa mère réfugiée en Suisse, montre à nouveau combien on aurait tort de considérer les théories du complot comme inoffensives ou sans conséquences. Aujourd’hui comme hier, elles demeurent annonciatrices de passages à l’acte délictueux sinon criminels.
La trajectoire de Rémy Daillet-Wiedemann, le vraisemblable inspirateur de cet enlèvement – qu’il qualifie de « restitution » – est à cet égard riche d’enseignements. Cet ancien responsable du Modem, dont il avait été exclu en 2010, a cheminé au cours de la dernière décennie dans les franges les plus radicales de l’extrême droite française. Auteur en 2012 d’un guide intitulé Je fais l’école à la maison (2012) qui prône la scolarisation des enfants à domicile, ce père de sept enfants est le président de l’association L’École à la maison et le responsable du site web éponyme. Il y explique que « l’école est un endroit dangereux : pédos, harceleurs, délinquants, dealers, labos et gouvernement sont les gros vecteurs du mal-être, du suicide, du meurtre, du crime courant ».
Rémy Daillet-Wiedemann dans le sillage de Farida Belghoul et Alain Soral
C’est sans surprise qu’on retrouve Rémy Daillet-Wiedemann en 2014, dans le sillage de Farida Belghoul, ex-figure de la « marche pour l’égalité et contre le racisme » (1983) propulsée, avec le soutien actif des réseaux d’Alain Soral et de Dieudonné M’Bala M’Bala, en tant que pasionaria des « Journées de retrait de l’école » (JRE) pour l’interdiction de la « théorie du genre » dans les établissements scolaires. Devenu un complotiste radical pourfendant aussi bien les francs-maçons que les « chemtrails », l’IVG ou encore les vaccins, Rémy Daillet-Wiedemann s’illustre par la suite en tenant des propos à caractère négationniste et antisémite.
Appelant au renversement de la République – qu’il entend remplacer par un monarque doté d’un pouvoir « absolu » –, il défend dans un programme farfelu en 81 mesures une « réforme totale de l’enseignement » garantissant la « liberté de fondation d’établissement ». Non sans réclamer, quelques lignes plus haut, la « mise en examen immédiate de tous les ministres, secrétaires d’État ou conseillers divers ayant participé aux derniers gouvernements depuis 1981 [avec] saisie de leurs biens », mais aussi l’ « abolition de la maçonnerie, des sectes satanistes » ainsi que « de la franc-maçonnerie du CRIF [sic], de la LICRA, de SOS-Racisme, du Betar, des ligues Antifa ».
Des obsessions communes à l’extrême droite et à Daech
Souvent, quoique non exclusivement lié au catholicisme traditionnaliste, le mythe du « complot judéo-maçonnique » continue, au XXIe siècle, d’irriguer l’imaginaire des complotistes les plus véhéments. En témoignent ces quelques lignes publiées en 2015 : « L’éducation obligatoire […], dans le cas de la France en particulier, est un moyen de propagande servant à imposer le mode de pensée corrompu établi par la judéo-maçonnerie. […] Lorsque tu mets ton enfant à l’école de la république, tu acceptes qu’il ingurgite cette bouillie de mécréance, corrompant ainsi sa prime nature et lui faisant emprunter les voies des gens de l’Enfer. […] Le parachèvement de la corruption des mœurs en Occident a été accompli lors de ce qu’ils nomment la « révolution sexuelle » dans les années 70. Les mêmes mains judéo-maçonniques qui avaient chassé la religion de l’école y firent entrer la fornication, l’homosexualité, le meurtre d’enfants poliment nommé avortement1. »
Un lecteur averti aura reconnu ici sans difficulté le style et les obsessions de l’extrême droite antisémite. Ces mots ne sont pourtant pas issus d’un blog de nostalgiques du régime de Vichy mais du magazine Dâr al-Islâm massivement diffusé sur Internet et édité… par Daech.
Note :
[1] Dâr al-Islâm, numéro 7, 30 novembre 2015, pp. 12-17.
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