Par Philippe Foussier, journaliste
Remis le 18 mai, le rapport élaboré par Isabelle de Mecquenem et Pierre Besnard avait été commandé par les ministres de la Fonction publique et de la Citoyenneté, Amélie de Montchalin et Marlène Schiappa. Ses auteurs sont respectivement agrégée de philosophie et membre du conseil des sages de la laïcité du ministère de l’Education nationale pour la première, préfet pour le second. L’une des mesures phares du rapport vise à former l’ensemble des agents publics à la laïcité, un objectif que le gouvernement a jugé possible à un horizon de quatre ans. Actuellement, seuls 15% des fonctionnaires ont reçu une telle formation, la moitié moins s’agissant des agents hospitaliers. Or, près du tiers d’entre eux estiment avoir été confrontés à un problème en lien avec la laïcité. Un renforcement du rôle des référents laïcité tels que créés en 2017 dans chaque administration est également prévu. Les rapports Rossinot de 2006, Zuccarelli de 2017 et Clavreul de 2018, déjà centrés sur le même sujet, avaient chacun à leur manière pointé les carences de formation des agents des trois fonctions publiques : d’Etat, territoriale et hospitalière. Pour l’année en cours, l’ensemble des écoles de service public dispenseront une formation obligatoire à la laïcité.
Pour élaborer leur rapport, ses deux auteurs ont procédé à de multiples auditions d’institutions et de personnalités, qui convergent pour estimer indispensable des formations en direction des 5,5 millions d’agents publics, qui seront tous destinataires d’un guide pratique de la laïcité. C’est donc un vaste programme qui est engagé, qui nécessitera de se heurter aux pesanteurs régnant dans nombre d’administrations. Ainsi, près des deux tiers des agents qui ont consacré ou vécu des atteintes à la laïcité estiment que leur hiérarchie s’est abstenue d’intervenir. Un certain nombre des mesures préconisées par le rapport Mecquenem-Besnard a déjà fait l’objet d’une inscription dans le projet de loi confortant les principes républicains, qui sera promulgué dès son adoption imminente par le Parlement.
Cohérence, soutien et solidarité
Début juin, c’est le rapport Obin qui était rendu au ministre Jean-Michel Blanquer. Inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale, Jean-Pierre Obin connait bien le sujet pour avoir piloté une mission sur le même thème en 2004. Le rapport remis au ministre de l’époque avait été volontairement ignoré, pour des raisons que son auteur a détaillées dans son récent livre, Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école (Hermann éd.). Tant en termes de formation initiale que continue, Jean-Pierre Obin émet une série de propositions tandis que la formation des enseignants dans ce domaine est en chute libre depuis quelques années. Pourtant, les cas d’atteintes à la laïcité se multiplient de manière significative, laissant souvent les enseignants et directeurs d’établissements démunis ou désemparés. De surcroit, comme l’a observé Jean-Pierre Obin, auquel ce rapport avait été commandé après l’assassinat de Samuel Paty, cet événement n’a fait que développer l’autocensure chez la plupart des enseignants. Malgré les outils élaborés par le conseil des sages de la laïcité du ministère de l’Éducation nationale, il apparait également que peu d’entre eux sont mis à disposition des personnels voire même connus d’eux.
Trois demandes principales se sont fait jour au fil des auditions d’enseignants et de CPE menées par Jean-Pierre Obin : « d’abord de la cohérence : entendre de leurs responsables et de leurs formateurs des définitions identiques, simples et claires de la laïcité et des valeurs de la République ; ensuite un soutien didactique et pédagogique concret, disposer de supports d’enseignement adaptés pour mieux transmettre ces valeurs à leurs élèves ; enfin une solidarité effective, recevoir de leur hiérarchie un soutien net et clair pour les aider à affronter et à traiter les comportements les plus problématiques de certains élèves ou de leurs parents ». L’intérêt du rapport Obin est aussi d’aborder des questions que l’institution elle-même répugne à regarder avec lucidité. Il a ainsi identifié sur des sites d’académies, d’instituts supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPÉ) et même de l’administration centrale « des documents, des vidéos et des bibliographies de certains promoteurs d’une nouvelle laïcité “concordataire“ qui serait issue d’un compromis que la République devrait passer avec l’islam, ou encore d’égéries de la mouvance “décoloniale” ». Il est dès lors peu surprenant que la notion de laïcité soit mal comprise par les élèves si elle est déjà l’objet de confusion dans sa transmission aux enseignants eux-mêmes et a fortiori si c’en est une version dévoyée qui leur est présentée. Nul doute qu’il faudra de la constance et de la détermination de la part de la puissance publique pour inverser une tendance chronique sinon à la négation au moins à la minoration des atteintes à la laïcité au sein de l’institution Éducation nationale.