Par la Rédaction
Le contexte géopolitique éclaire d’un jour particulier le génocide arménien et sa reconnaissance. Et pas des meilleurs. Comme le souligne Arnaud Ngatcha dans son propos d’accueil, « le négationnisme se répand, devient polymorphe, les théories conspirationnistes se multiplient ». L’adjoint à la maire de la capitale rappelle le rôle joué par le Conseil de Paris dans l’adoption récente de la définition de l’antisémitisme, un outil essentiel dans la lutte contre les négationnismes, « qu’on trouve tant à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche ». À sa suite, François Heilbronn, vice-président du Mémorial de la Shoah, souligne l’action menée par cette institution dans la formation des enseignants. 6 000 par an sont ainsi sensibilisés aux différents génocides et massacres collectifs. Tout aussi bien ceux passés, dont ont été victimes les Arméniens, les Juifs, les Tziganes ou encore les Tutsi. Ou les crimes de masse qui, plus près de nous, touchent les Yézidis, les Rohingyas, les Ouïghours, les Kurdes… Directeur de la Revue Civique et observateur attentif des médias, Jean-Philippe Moinet s’alarme de la diffusion croissante du complotisme sur les réseaux sociaux et insiste sur la nécessité de lutter contre le négationnisme. « Il s’agit de menaces très concrètes, car nier les crimes d’hier, c’est faciliter les crimes d’aujourd’hui », juge Jean-Philippe Moinet.
Arguments électoralistes
Initiateur de la loi du 29 janvier 2001 de reconnaissance du génocide arménien, Alexis Govciyan observe que « longtemps les Arméniens furent seuls ». Aujourd’hui premier adjoint à la maire du 9e arrondissement parisien, il rappelle les combats qui furent nécessaire dans les années 1990 pour aboutir au vote du Parlement et à la promulgation de la loi par Jacques Chirac et Lionel Jospin. À l’instar des autres intervenants, l’avocat Patrick Klugman défend la nécessité d’une nouvelle loi « qui pénaliserait la contestation du génocide des Arméniens ». Démontant les arguments de ceux qui s’y opposent en brandissant la liberté d’expression, il souligne que « jamais un historien ne s’est plaint de la loi Gayssot », renvoyant ses détracteurs à des « arguments électoralistes ».
L’historienne Valérie Igounet, qui coanime le site Conspiracy Watch, relève que la tranche d’âge la plus poreuse au négationnisme est celle des 18/25 ans ou encore qu’une personne sur cinq considère qu’il existe un complot sioniste mondial. L’avocat Vincent Nioré, animateur de la commission Arménie du Barreau de Paris, plaide pour introduire la négation du génocide dans le Code pénal. « Aujourd’hui, en France, on peut dire qu’il n’y a pas eu de génocide des Arméniens », s’indigne Franck Papazian, co-président du CCAF (Conseil de coordination des organisations arméniennes de France), qui pointe le rôle discutable du Conseil constitutionnel vis-à-vis de la loi de 2001, et qui appelle lui aussi de ses vœux une nouvelle loi, rejoint par l’historien Vincent Duclert.
De son côté, Seta Papazian, directrice du site VAN (Vigilance arménienne contre le négationnisme), témoigne d’une hausse « exponentielle du négationnisme en France, en Europe, aux États-Unis » et de la description des Arméniens « assimilés à des bactéries et des virus, comme le Sida ou le Covid ». Elle évoque aussi les récentes démonstrations de rues de plusieurs centaines de militants ou sympathisants des Loups gris dans des villes de France, comme à Dijon (Côte d’Or), à Vienne (Isère) ou Décines (Rhône) et souligne les liens entretenus par ce mouvement avec le régime du président turc Erdogan. Le gouvernement français a d’ailleurs prononcé la dissolution de cette organisation en novembre dernier.
Rhétorique des années 1930
Quant à Ara Toranian, co-président du CCAF et directeur des Nouvelles d’Arménie, il dénonce le lobbying de l’État turc, qui a fait de la négation du génocide arménien une priorité de sa politique étrangère. Il rend hommage aux intellectuels turcs qui sont en prison ou exilés pour avoir refusé de se soumettre aux injonctions du régime sur cette question, qualifiant l’État turc de « structurellement négationniste ». Et lui aussi met en garde à propos des démonstrations de force des Loups gris en France comme celles de l’automne 2020 : « C’est la première fois que nous avons vu des nervis dans la rue en France ».
Laure Piaton, directrice du Centre culturel arménien de Valence (Drôme), explique quant à elle le rôle de cette structure pour la formation des enseignants et des scolaires, et indique que s’exerce aujourd’hui à l’égard des Arméniens « la même rhétorique que celle des années 1930 à l’égard des Juifs ». Enseignant-chercheur au Mémorial de la Shoah, Iannis Roder revient sur la mission civique et politique de cet organisme chargé d’éduquer et de transmettre tandis que les discours négationnistes se propagent. Il donne plusieurs exemples des réflexions pédagogiques et scientifiques menées en direction des élèves et des enseignants observant que, depuis 2000, la progression de la négation de la Shoah s’était accompagnée en parallèle de celle du génocide des Arméniens.
La pédagogie, la transmission, ce sont bien sûr des outils indispensables, observe le président de la Licra Mario Stasi. « Mais, martèle-t-il, il faut sortir la négation du génocide de la loi de 1881, cela n’a rien à voir avec la liberté de la presse. Invoquer la liberté de la presse pour pouvoir contester le génocide des Arméniennes, c’est insupportable ». Mario Stasi évoque aussi le rôle et la responsabilité des réseaux sociaux « quand ils se transforment en robinets de haine », un sujet sur lequel la Licra est particulièrement mobilisée. L’écrivain Marek Halter, rescapé du ghetto de Varsovie, se livre, en conclusion de ces 11e Assises, à une interrogation : « Pourquoi les négationnistes se donnent-ils tant de peine, de travail, de temps » ? Et en l’absence de réponse, il adresse un message d’optimisme : « Nous avons développé une arme, redoutable, la parole. Grâce à elle, c’est nous qui vaincrons et pas eux ».